Ne pas être qu'un "patient" ...

Pharmacocinétique appliquée : notions élémentaires

Aucun médi­ca­ment effi­cace n’est anodin (Aspi­rine comprise)

L’utilisation prolon­gée, dans le trai­te­ment des mala­dies chro­niques, entraîne des effets indé­si­rables parfois sévères qui justi­fient l’observation d’une théra­pie aussi prudente et réflé­chie que possible.

Beau­coup de pres­crip­teurs, souvent sous la pres­sion des malades eux-​mêmes, ont tendance à forcer les doses et à simpli­fier leur admi­nis­tra­tion. C’est le danger de la pratique du « qui peut le plus, peut le moins » et du « matin, midi et soir ». N’accablons pas les méde­cins, la routine guette toutes les profes­sions tech­niques et la méde­cine n’est pas seule­ment un art !

Beau­coup de méde­cins de familles et de spécia­listes connaissent très bien leurs patients et savent les soigner, aussi notre inten­tion n’est pas d’interférer dans cette rela­tion de confiance.

Si cela peut être utile, nous donnons ici quelques rudi­ments pour faci­li­ter le dialogue entre le prati­cien et le malade et obte­nir un trai­te­ment satis­fai­sant, évoluant de façon prudente avec la maladie.

Le livre de J.P Labaune : « Phar­ma­co­ci­né­tique », Edit. Masson, est la source essen­tielle des notions de base résu­mées ci-après.

1) Trajec­toire du médi­ca­ment vers la cible et perte en route (fig. 1)
La figure 1 résume le sort du médi­ca­ment admi­nis­tré par voie orale.
Une partie seule­ment parvient à la circu­la­tion géné­rale (41 % dans notre exemple), c’est la biodisponibilité.
Véhi­cu­lée par le sang, cette partie dispo­nible, en partie fixée et neutra­li­sée est distri­buée dans tous les organes et tissus, dont l’organe cible (qui reçoit seule­ment 6.1 % de la dose dans notre exemple).
L’organisme se débar­rasse du produit par la fonc­tion d’excrétion. Cette « auto-​épuration » se carac­té­rise par le para­mètre de clai­rance. La ½ vie est l’intervalle de temps durant lequel une concen­tra­tion X de médi­ca­ment est réduite de moitié.

Géné­ra­le­ment, ces para­mètres sont indé­pen­dants de la dose admi­nis­trée, la ciné­tique est dite linéaire, mais varient avec les individus.

2) Dose admi­nis­trée (fig. 2)
L’effet théra­peu­tique d’un médi­ca­ment est surtout lié à la valeur des concen­tra­tions plas­ma­tiques. On peut définir :
‑Un seuil théra­peu­tique, en dessous duquel aucun effet n’est obtenu,
‑Une limite supé­rieure, au delà de laquelle appa­raissent des effets indésirables,
‑Entre les deux, un inter­valle théra­peu­tique dans lequel les concen­tra­tions sont actives et non toxiques.

3) Fréquence d’administration (fig. 3)
Problème posé :
‑Parve­nir rapi­de­ment à l’efficacité thérapeutique.
‑Main­te­nir une concen­tra­tion active, dans l’intervalle thérapeutique.
‑Eviter les accu­mu­la­tions toxiques.



Règle géné­rale :

La dose unitaire étant bien adap­tée, l’intervalle entre deux prises doit être proche de la ½ vie du produit.
4) Facteurs influen­çant la phar­ma­co­ci­né­tique (fig. 4,5 et 6)
De nombreux facteurs influencent les para­mètres phar­ma­co­ci­né­tiques : âge, insuf­fi­sance rénale et hépa­tique, facteurs géné­tiques, inter­ac­tions médi­ca­men­teuses… Nous évoque­rons seule­ment ici l’alimentation et les rythmes biologiques.
Alimentation.
Elle peut influen­cer l’absorption et l’effet de premier passage, c’est à dire la biodisponibilité :
‑On peut en faire un bon usage : ainsi dans le cas de la cimé­ti­dine (trai­te­ment de l’ulcère gastrique), l’alimentation ne modi­fie pas le coef­fi­cient d’absorption mais retarde le premier pic d’absorption et élimine le second(fig. 4). Pour être plus effi­cace, la cimé­ti­dine doit être admi­nis­trée au cours du repas, de manière que le pic de concen­tra­tion coïn­cide avec le pic de sécré­tion gastrique.

-A l’inverse, il faut privi­lé­gier la prise de L‑Dopa (trai­te­ment du Parkin­son) en dehors des repas pour éviter d’en ralen­tir la vidange gastrique et pour limi­ter sa dégra­da­tion dans l’estomac.
Pour la sieste ou le coucher suivant de près les repas, se coucher sur le côté droit faci­lite et accé­lère la vidange gastrique

Rythmes biolo­giques. Chronocinétique.

Les plus fami­liers concernent le carac­tère saison­nier du déve­lop­pe­ment des espèces animales et végé­tales (rythme circan­nuel) et l’alternance veille/​sommeil (rythme circa­dien, de période 24 heures).

Ce phéno­mène affecte bien des fonc­tions et la méde­cine a appris à les connaître et à les utili­ser (en chimio­thé­ra­pie par exemple).

Sur l’exemple de la figure 5, entre les prises de 07 heures et 23 heures, les para­mètres phar­ma­co­ci­né­tiques : pic de concen­tra­tion, temps de montée au pic : T max et demi-​vie : T ½, varient dans un rapport de 1 à 2. La dose unitaire peut être insuf­fi­sante à certaines heures.

L’exemple de la figure 6, donne les résul­tats pour un Parkin­so­nien en cours de trai­te­ment. Les six prises de sang ne permettent pas une analyse complète et détaillée, on retiendra :

-La confir­ma­tion du diag­nos­tic par le dosage de 08 heures à J+1 : pas de dopa­mine natu­relle ou endogène.

-La plus grande effi­ca­cité rela­tive de la L‑Dopa prise à 10 heures.

-La briè­veté rela­tive de son action

5) Appli­ca­tion pratique (fig. 7 et 8)
Dans cet exemple réel, pour adap­ter le trai­te­ment à l’évolution de la mala­die, il s’agissait de tirer le meilleur profit d’une augmen­ta­tion de 25 % de la dose jour­na­lière, établie depuis 3 ans et ½ et de passer de 4x125 mg Modo­par soit 500 mg/​jour à 625 mg/​jour, soit en L‑Dopa, de 400 mg à 500 mg/​jour. Passons sur le détail des essais succes­sifs, toujours prolon­gés sur 5 jours pour bien juger de leur effet, pour en arri­ver à la solu­tion préfé­rée par le malade et vali­dée par le neuro­logue (Cf. fig. 8) :
‑Main­tien des horaires des prises et des repas (le labo­ra­toire fabri­cant recom­mande un délai mini­mum de ½ heure avant le repas et 1 heure après)
‑Main­tien de 4 prises.
‑Modu­la­tion des doses unitaires.



Le choix est basé sur les mani­fes­ta­tions de la mala­die et les consi­dé­ra­tions tech­niques expo­sées dans les para­graphes précé­dents, trai­tés dans le graphique que nous préco­ni­sons (fig.7).

Pour un tracé plus facile, la courbe en cloche repré­sen­ta­tive de l’effet de tout médi­ca­ment absorbé, est sché­ma­ti­sée par 4 segments de droite (voir exemple sur la prise de 18 heures. Fig. 7b).

Les valeurs de base : temps de montée au pic : T max et ½ vie : T ½ , ne sont géné­ra­le­ment pas four­nies sur les notices d’utilisation, mais elles sont dans le Vidal que vous pouvez deman­der au méde­cin ou au phar­ma­cien de consulter.

La ciné­tique du médi­ca­ment étant linéaire, l’effet total © est la somme des effets des doses succes­sives (A+B). Le passage de 4 à 5 doses par jour de Modo­par 125, donne en prin­cipe un meilleur effet total, plus élevé et plus lisse que la théra­pie anté­rieure : 4x125 mg, deve­nue insuf­fi­sante. Son essai a été infructueux.

Les données des figures 5 et 6 invi­taient dès lors à penser que la dose unitaire de Modo­par, de 125 mg, était insuf­fi­sante à certaines heures, passant à un effet infé­rieur au seuil théra­peu­tique, ce qui fait inter­ve­nir la chro­no­ci­né­tique, repré­sen­tant une effi­ca­cité variable des prises (e).

On peut prendre en compte cette varia­tion d’efficacité (e) comme indi­qué sur les figures 7 et 8, l’effet (E) de chaque prise (d) résul­tant du produit (e x d).
E = e x d
Cette correc­tion permet de se réfé­rer à un seuil théra­peu­tique inva­riable dans la journée.
Le dosage plas­ma­tique (figure 6) indique pour ce patient, une effi­ca­cité infé­rieure de la première prise par rapport à la seconde (dosage de la dopa­mine circulante).
En compen­sa­tion, on a ajouté une gélule de 62.5 mg deMo­do­par à cette première prise et, sans justi­fi­ca­tif parti­cu­lier, un second supplé­ment de 62.5 mg de Modo­par à la troi­sième prise. L’amé­lio­ra­tion a été très sensible et les doses succes­sives 187.5, 125, 187.5 et 125 mg, ont été adop­tées pendant 1 mois envi­ron, avec satis­fac­tion (fig. 8a).

Le neuro­logue et le patient voulurent dès lors s’assurer que l’augmentation de la dose jour­na­lière (2x50 mg de L‑Dopa) était plei­ne­ment justi­fiée. Le doute concer­nait la prise addi­tion­nelle de 62.5 mg de L‑Dopa à 14 heures. Elle a pu être suppri­mée sans consé­quence (fig. 8b).

Ce constat est en accord avec l’hypothèse d’une varia­tion d’effet circa­dienne simple, pseu­do­si­nu­soï­dale, sché­ma­ti­sée sur la figure 8. Cette hypo­thèse méri­te­rait d’être confir­mée par une étude plus complète du dosage plasmatique.

La dose jour­na­lière fina­le­ment adop­tée n’est donc que de 450 mg de L‑Dopa. L’amélioration ressen­tie semble surtout résul­ter de l’effet de « boos­ter » de la dose addi­tion­nelle de 50 mg de L‑Dopa le matin, qui évite un long sous-​dosage, péna­li­sant toute la jour­née du patient.

L’inconfort nocturne étant jugé accep­table, il reste une courte période de manque le matin pendant une demi-​heure, accep­tée égale­ment et il est conseillé de se coucher avant 21 heures 30.

Avril 2002, modi­fié en octobre 2002. E. Rainon 
Émile Rainon
27bis route de Limours
78470 Saint Rémy Les Chevreuse
Tél. : 01 30 52 94 82

Prin­ci­pales sources :
§J.P Labaune. Dr en Phar­ma­cie. Phar­ma­co­ci­né­tique. Edit. Masson.
§A. Rein­berg. Dr de recherche au CNRS. Les rythmes biolo­giques. P.U.F (Que sais-je ?)
§Vidal profes­sion­nel 2000.

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