Libre opinion : Changement d’heure
Publié le 18 janvier 2006 à 18:52Paru dans Le Parkinsonien Indépendant n° 23 — décembre 2005
Réflexions nocturnes d’un patient impatient pendant une heure inexistante
Il est 5 heures du matin ou bien 4 heures, je ne sais plus très bien, durant cette folle nuit où les trains s’arrêtent et attendent que les aiguilles des pendules soient placées au bon endroit ! Invention de nos technocrates, le changement d’heure est la négation du rythme solaire qui régit la nature tout entière.
Réveillé comme d’habitude par mon cerveau, qui ignore les subtilités de l’heure dite d’hiver, je m’interroge sur la prise de mes médicaments : dois-je les prendre tout de suite ou, au contraire, attendre une heure au risque de trembler un peu ?
Cruel dilemme, la journée risque d’être compromise et pourtant il faut tout de même que je me plie aux fantaisies de nos technocrates spécialistes en la matière ! Eux savent pourquoi : l’heure doit changer. Moi, vous, nous n’y comprenons rien mais il parait que c’est économique !
Chers amis qui allez être perturbés, aidez-moi ! Le fragile équilibre mis en place pour absorber à peu près à l’heure dite les indispensables médicaments risque d’être compromis dans les jours à venir. Mais nos technocrates s’en moquent. Le fonctionnement du cerveau et de l’ensemble du corps humain – comme d’ailleurs l’ensemble du monde végétal et animal – a ses propres règles qui n’ont rien à voir avec le fonctionnement des pendules : nous le constatons tous les jours à nos dépens. Je crains donc que mon appel reste sans réponse.
J’opte donc pour l’attente d’une heure, mise à profit pour écrire ces quelques lignes : après tout, une heure qui n’existe pas est toujours bonne à prendre pour réfléchir. Cela me conduit à m’interroger sur le savoir, le pouvoir et surtout la vanité de ceux qui croient en posséder les clés.
Au cours de mes pérégrinations, j’ai, nous avons, pu juger (et être jugé) les hommes et les femmes selon leurs apparences, leurs connaissances, leur sincérité, leur courage et aussi la réalité de leurs convictions.
Maintenant que la maladie nous joue des tours, l’hypersensibilité qui nous habite nous fait découvrir plus facilement toute la vanité de ceux qui prétendent savoir et nous diriger – ceci pour notre plus grand bien au nom de la Science. Qu’en est-il exactement de ce savoir et les malades peuvent-ils y souscrire ?
« Plus j’en sais, moins j’en sais » déclare une biologiste, grande amie des parkinsoniens qu’elle a rencontrés en grand nombre, et qui ne cesse de s’interroger sur les variations de la maladie de Parkinson. Son honnêteté face à toutes les inconnues qu’elle rencontre lui fait honneur. Mais il n’en est pas toujours de même dans les milieux scientifiques. Toutes les générations ont connu des êtres exceptionnels qui se prétendaient détenteurs de la Vérité ; hélas elle ne l’était plus à la génération suivante. Ainsi la Vérité du monde scientifique se modifie au jour le jour et de plus en plus vite : que faire face à cette évolution si rapide ?
Pour nous les malades, pas grand-chose sinon attendre et s’unir avec d’autres pour agir afin que, d’entre toutes « les vérités », soit retenues de préférence celles qui amélioreront nos conditions de vie dans l’attente de la vérité de demain.
Quant aux possesseurs du soit disant savoir et qui continuent de vouloir dominer le monde des malades, qu’ils deviennent plus humbles et plus modestes face à toutes les inconnues qui restent à découvrir : c’est une nécessité pour le plus grand bien de tous. Des rencontres ponctuelles avec le monde du « savoir médical » me font augurer d’un progrès très net dans ce sens. Il reste cependant, pour une meilleure compréhension réciproque, beaucoup de chemin à parcourir des deux côtés.
La règle pour les parkinsoniens qui ont gardé toutes leurs facultés intellectuelles : être aidés et informés OUI ; assistés et dirigés NON ! Contrairement à ce que nous disent de « bonnes âmes » qui veulent se substituer au patient – mot que j’ai en horreur tant il contient une connotation d’asservissement – nous sommes maintenant nombreux à connaître notre mal et les moyens actuels de le combattre.
L’interdiction, qui nous est faite encore régulièrement de ne pas nous occuper des effets de la maladie et surtout de nos traitements, me hérisse au plus haut point. Comment peut-on, devant une science aussi évolutive et inexacte que la médecine où « vérité aujourd’hui est grossière erreur demain », vouloir empêcher d’accéder aux connaissances actuelles un technicien ou un curieux de tout qui durant toute sa vie à évoluer au sein d’un monde de sciences dites « exactes » (mathématique, physique ou chimie) ? Vouloir leur interdire de comprendre est à la limite du grotesque et du ridicule.
Pour ma part, technicien autodidacte, je continuerai à informer mes semblables, dans le souci du respect des « vérités » les plus récentes en espérant les soulager, un peu,de leurs maux qui sont aussi les miens. Peu m’importe l’avis des « soucieux » du respect que l’on devrait, d’après eux, aux détenteurs de la « vérité scientifique ». Autant nous pouvons prendre en considération la masse des études et des recherches accomplies, la volonté, voire le courage, des chercheurs, autant nous leur refusons le droit de contrôler et diriger notre façon d’aborder les problèmes qui se posent quotidiennement à nous.
Toute notre vie nous avons fait face et résolu, plus ou moins bien, quantité de problème d’ordre familial, professionnel et autre. Aujourd’hui, nous pouvons, nous devons, avec l’aide des médecins et de notre entourage, résoudre nous-même ceux posés par la maladie. Du moins, tant que notre tête sera en état de fonctionner même si nos jambes ne sont plus trop vaillantes !
Nous faisons confiance à la Recherche pour découvrir tout ce qui peut être une amélioration de nos traitements, la Médecine ayant à sa charge de nous dispenser, au mieux des connaissances actuelles, les meilleurs remèdes. Une information judicieuse, conjointe à la prescription, établira la confiance mutuelle entre le médecin et le malade. Le doute qui s’installe, parfois, parmi nos « patients », impatients de sortir d’une situation de plus en plus dure à vivre, en sera d’autant diminué.
L’aspect psychologique de la maladie de Parkinson est énorme : nous le constatons tous les jours et une médecine moderne ne peut ignorer ce fait.
Bon, ça y est : mon heure de décalage est (largement) comblée. Me voici, tremblotant, ajusté à l’heure d’hiver ! Qu’importe à nos technocrates que la journée des malades va être dérangée ; que les vaches – pas aussi folles que l’on dit – vont être désorientées dans leurs habitudes de traite, elles qui vivent dans un monde sans pendule
Bernard GEFFRAY
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