Ne pas être qu'un "patient" ...

La transplantation neuronale et la maladie de Parkinson : « la traversée du gué »

LE PARKINSONIEN INDEPENDANT
N°24 – mars 2006

La trans­plan­ta­tion neuro­nale et la mala­die de Parkinson : 

« la traver­sée du gué »

C’est sur la base de nombreuses études effec­tuées prin­ci­pa­le­ment chez le rongeur, mais aussi le primate, que la trans­plan­ta­tion de cellules neuro­nales fœtales humaines, issues du mésen­cé­phale ventral, a été entre­prise en clinique chez des patients parkin­so­niens. L’objectif est de restau­rer un apport de dopa­mine dans le noyau caudé/​putamen ‘(stria­tum) en y implan­tant des neurones capables de synthé­ti­ser cette molé­cule.

Plusieurs centres se sont enga­gés dans cette voie pion­nière, mais sans beau­coup de concer­ta­tion. C’est ainsi que les tech­niques de prélè­ve­ment et de trai­te­ment des tissus ont varié au gré des promo­teurs, et malheu­reu­se­ment sans effort de ratio­na­li­sa­tion ni de concer­ta­tion. De même, la stan­dar­di­sa­tion de critères permet­tant de compa­rer les éven­tuels béné­fices d’un centre à l’autre a tardé à émer­ger.

Pour­tant, la plupart des essais ont apporté la preuve que certains patients trans­plan­tés ont connu des béné­fices notoires et durables capa­cité de synthèse et d’incorporation accrue de dopa­mine au niveau du stria­tum, et amélio­ra­tion conjointe des défi­cits moteurs, permet­tant une baisse de la prise de L‑DOPA. Cette voie théra­peu­tique est malheu­reu­se­ment diffi­cile à mettre en œuvre. Les cellules doivent être obte­nues à partir de fœtus humains, donc à partir d’ »IVG. Leur collecte néces­site évidem­ment des précau­tions en matière d’éthique, mais aussi clinique, car de telles opéra­tions néces­sitent des soins parti­cu­liers de la donneuse, pour ne pas endom­ma­ger l’ébauche du cerveau du fœtus. En outre, il faut plusieurs embryons, et donc autant de donneuses, pour la trans­plan­ta­tion d’un seul hémi­sphère céré­bral, alors que la trans­plan­ta­tion bila­té­rale est consi­dé­rée comme plus effi­cace. Se posent donc de diffi­ciles problèmes de conser­va­tion des tissus .

Le cerveau est un organe aux proprié­tés immu­no­lo­giques parti­cu­lières, qui lui permettent de tolé­rer des neurones issus d’un donneur de la même espèce (allo­trans­plan­ta­tion). Pour­tant là encore, il a été réalisé qu’il exis­tait des limites mal connues à cette tolé­rance, qui font que des rejets de gref­fons sont néan­moins possibles, et peuvent expli­quer certains échecs. Des études cliniques récentes, réali­sées en « double aveugle », ont conclu que la trans­plan­ta­tion de neurones fœtaux humains n’apportaient aucun béné­fice et même pire, pouvaient occa­sion­ner l’émergence de dyski­né­sies.

A l’inverse, des autop­sies réali­sées sur des patients décé­dés de causes diverses ont montré que la trans­plan­ta­tion pouvait régé­né­rer une inner­va­tion dopa­mi­ner­gique signi­fi­ca­tive et stable du stria­tum, elle-​même asso­ciée à des béné­fices cliniques aussi stables dans le temps.

De telles contra­dic­tions s’expliquent par la variété des tech­niques de prépa­ra­tion des trans­plants. Certains centres ont utilisé des pièces entières de tissu mésen­cé­pha­lique intact, alors que d’autres trans­plan­taient des cellules préa­la­ble­ment disso­ciées, et ce avec des trai­te­ments divers desti­nés à limi­ter leur mort durant les étapes pré-​opératoires.. Enfin, les trai­te­ments post-​opératoires ont égale­ment varié, en parti­cu­lier en matière d’immunosuppression. Celle-​ci paraît très utile, alors que comme nous l’avons vu, le statut immu­no­lo­gique du cerveau lais­sait croire que toute allo­trans­plan­ta­tion serait bien accep­tée sans besoin d’immunosuppression.

Il faut donc conclure que la tech­no­lo­gie de trans­plan­ta­tion demeure encore trop lourde, et que pour la rendre parfai­te­ment fiable, il faut reprendre les recherches fonda­men­tales pour en cerner les aléas et défi­nir les proto­coles d’application les plus effi­caces.

Dans ce contexte, il est devenu évident qu’un tout état de cause, il serait impos­sible de dispo­ser de suffi­sam­ment de neurones fœtaux humains pour soigner de nombreux patients, et qu’il fallait abso­lu­ment se diri­ger vers d’autres sources.

C’est dans ce contexte que des recherches en xéno­trans­plan­ta­tion ont été entreprises.

Diverses études, essen­tiel­le­ment effec­tuées aux Etats-​Unis, ont montré que les neurones fœtaux porcins consti­tuaient une alter­na­tive aux neurones humains. Après trans­plan­ta­tion dans le stria­tum d’un rece­veur d’une autre espèce (rat, singe), ils montrent une capa­cité de réin­ner­va­tion impor­tante et restaurent des troubles moteurs provo­qués par des lésions des neurones dopa­mi­ner­giques. L’handicap majeur de cette voie est la grande suscep­ti­bi­lité de telles xéno­greffes aux méca­nismes de rejet provo­qués par le système immu­no­lo­gique du rece­veur.

Avec quelques autres groupes, nous avons beau­coup travaillé pour explo­rer les bases molé­cu­laires et cellu­laires de ce rejet, en profi­tant notam­ment des compé­tences de cher­cheurs de notre labo­ra­toire spécia­li­sés dans l’immunologie des trans­plan­ta­tions rénales. Les résul­tats de plusieurs années d’études, menées notam­ment par Benoît Melchoir et Caro­line Martin, qui ont béné­fi­cié l’un et l’autre d’une aide finan­cière du Comité d’Entente et de Coor­di­na­tion des Asso­cia­tions de Parkin­so­niens (CECAP), ont mis en évidence le rôle central d’un type cellu­laire, les lympho­cytes T.

C’est sur cette base que nous avons entre­pris de géné­rer un porc trans­gé­nique dont les neurones sécrètent une molé­cule qu’ils ne produisent pas norma­le­ment, et qui est connue pour inac­ti­ver plusieurs types de lympho­cytes T. Le gène spéci­fiant cette molé­cule est d’origine humaine. Toute­fois, cette molé­cule a été amélio­rée par ingé­nie­rie géné­tique pour en accroître la stabi­lité, mais aussi pour permettre sa synthèse par des neurones.

L’obtention de porcs trans­gé­niques a néces­sité une impor­tante colla­bo­ra­tion avec l’INRA (Insti­tut Natio­nal de Recherche Agro­no­mique), ainsi qu’avec une autre unité INSERM et un labo­ra­toire du CNRS (Centre Natio­nal de la Recherche Scien­ti­fique). Un finan­ce­ment excep­tion­nel impor­tant a été fourni par l’INSERM pour lancer les travaux, qui ont encore béné­fi­cié des aides plus ponc­tuelles d’associations, dont l’AFM (Asso­cia­tion Fran­çaise pour la lutte contre les Myopa­thies) et, rappelons-​le, le CECAP.

Près de 5 ans ont été néces­saires pour obte­nir deux animaux trans­gé­niques, après 2.286 injec­tions d’œufs ensuite réim­plan­tés dans des truies, qui ont abouti à la nais­sance de 151 porce­lets seule­ment, dont deux présen­taient les proprié­tés recher­chées.

Nous dispo­sons main­te­nant de descen­dants homo­zy­gotes (deux exem­plaires du trans­gène par cellule) de ces deux animaux et avons montré que les neurones mésen­cé­pha­liques fœtaux de tels porcs étaient effec­ti­ve­ment capables de sécré­ter la molé­cule immu­no­sup­pres­sive après implan­ta­tion dans le cerveau du rat.

Et alors, ça marche ? Impos­sible de répondre à cette ques­tion, car la molé­cule immu­no­sup­pres­sive est humaine, et elle est inac­tive sur les lympho­cytes T du rat. Il faut donc reprendre l’expérimentation, mais cette fois chez le singe, chez lequel la molé­cule humaine est active. Le coût et la diffi­culté logis­tique de cette expé­ri­men­ta­tion n’ont pas permis de l’entreprendre à ce jour. Toute­fois, une demande de finan­ce­ment, émanant de 22 labo­ra­toires euro­péens, a été dépo­sée auprès de la Commis­sion Euro­péenne. Elle est notam­ment desti­née à produire de nouveaux porcs trans­gé­niques, cette fois desti­nés à la trans­plan­ta­tion de reins ou pancréas chez l’homme. Mais elle inclut un volet destiné à finan­cer la trans­plan­ta­tion des neurones issus de nos animaux trans­gé­niques chez des singes préa­la­ble­ment lésés pour les rendre « parkin­so­niens »

Cette expé­ri­men­ta­tion utili­sera des instal­la­tions appro­priées à Padoue, en Italie, et mobi­li­sera des compé­tences de collègues anglais, et bien sûr, les nôtres. Ainsi, nous espé­rons que les experts commu­nau­taires seront séduits par notre programme (il y a de bonnes chances) et que nous connaî­trons bien­tôt la suite de cette longue entreprise.

Philippe Brachet
INSERM U643

30 BD Jean Monnet – 44093 Nantes

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