Exploration des liens entre maladie de Parkinson et addictions comportementales, par l’exemple de jeu pathologique
Publié le 01 novembre 2012 à 09:50Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°50 – septembre 2012
Par Marie Grall-Bronnec, CHU Nantes
La maladie de Parkinson (MP), maladie neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer, entretient des liens étroits et complexes avec le jeu pathologique. La prévalence du jeu pathologique chez les patients parkinsoniens traités par agonistes dopaminergiques varie entre 2.3 et 8% bien supérieur à celle de la population générale. Il est possible d’envisager plusieurs modèles explicatifs de cette sur-représentation du jeu pathologique chez les malades de Parkinson.
1 – le jeu pathologique comme effet indésirable des médicaments de la MP.
L’association du jeu pathologique et de la MP est décrite pour la première fois dans la littérature scientifique il y a une dizaine d’années, sous la forme de rapports de cas. L’hypothèse d’une origine iatrogène découlait du constat que le jeu pathologique était secondaire à la MP, apparaissant ou s’aggravant sous l’effet du traitement dopaminergique. Le comportement pathologique survenait durant les phases « on » de la MP, chez des patients présentant des fluctuations motrices. Plusieurs autres études ont depuis décrits cette association, et la quasi-totalité des dopaminomimétiques est en cause dans le développement du jeu pathologique iatrogène. Le plus souvent, le médicament incriminé est un agoniste dopaminergique, dont le pramipexole©, le ropinirole©, le pergolide©, le piribédil© ou la bromocriptine©. A l’inverse, d’autres études ont aussi mis en cause la monothérapie par carbidopa/lévodopa. L’association de la carbidopa/lévodopa avec un agoniste dopaminergique, entraînant ainsi des problèmes de jeu par rapport à la monothérapie par l’un ou l’autre.
De façon plus générale, des troubles de contrôles des impulsions (incluant aussi hypersexualité, achats compulsifs, hyperphagie boulimique) sont décrits comme des effets indésirables des médicaments antiparkinsoniens.
2 – Le jeu pathologique comme conséquence d’un mésusage des médicaments de la MP
Une autre hypothèse pharmacologique apparaît rapidement après la précédente, celle d’un usage compulsif des médicaments dopaminergiques. Une équipe suisse a ainsi rapporté le cas de deux patients parkinsoniens, qui en raison d’une détérioration de leur maladie neurologique, s’auto-médiquaient avec leur traitement dopaminergique et développaient dans un second temps une pratique des jeux de hasard et d’argent. Les auteurs incriminaient un déficit du système de récompense dopaminergique lié à la MP, compensé par une sur-stimulation des récepteurs dopaminergiques, induisant une recherche de nouveauté accrue.
Cet usage compulsif de médicament fait partie du Syndrome de Dysrégulation Dopaminergique, associé à des effets indésirables moteurs (dyskinésies induites par la levodopa) et des effets indésirables comportementaux (troubles du contrôle des impulsions dont le jeu pathologique, hypomanie, hallucination). Le Syndrome de Dysrégulation Dopaminergique, induit par le traitement et auto-entretenu, serait le syndrome inverse de l’apathie. Il correspond à une hyperdopaminergie, sous-tendant la recherche de plaisirs sous toutes ses formes. Les médicaments dopaminomimétiques, dont la fonction est de corriger la déplétion dopaminergique, stimulent les voies dopaminergiques, dont celle du système de récompense, impliqué dans divers troubles addictifs, à l’origine du Syndrome de Dysrégulation Dopaminergique.
Ce syndrome peut être induit par tous les médicaments dopaminomimétiques. La définition d’un seuil, au-delà duquel il est possible d’évoquer un Syndrome de Dysrégulation Dopaminergique, est impossible compte tenu des grandes variations individuelles de la réponse thérapeutique aux médicaments dopaminergiques.
3 – Facteurs de risque de devenir joueur pathologique en cas de maladie de Parkinson
Comment expliquer que seule une minorité de malades de Parkinson développe cette complication ? Est-ce dû au traitement (molécules choisies, posologie employée) ? Est-ce dû au patient (facteurs de vulnérabilités individuels…) ? Est-ce dû à la MP (formes cliniques particulières…) ? Les données de la littérature ne permettent pas encore de répondre à toutes ces questions…
Pour certains, le pramipexole© constituerait l’agoniste dopaminergique le plus souvent incriminé dans le troubles du contrôle des impulsions, tandis que pour d’autres, il n’y aurait pas de différence entre les différents agonistes dopaminergiques. La levodopa et l’apomorphine seraient les molécules les plus impliquées dans le Syndrome de Dysrégulation Dopaminergique.
Des résultats contradictoires portent aussi sur la relation entre la posologie et l’induction du jeu pathologique. Pour certains, il existe une relation dose/effet des agonistes sur le développement du jeu pathologique. Pour d’autres, la plus faible dose d’agoniste utilisée suffit à déclencher un trouble du contrôle des impulsions. Certains affirment enfin l’absence de relation entre les doses prescrites et la survenue du jeu pathologique, évoquant une vulnérabilité sous-jacente.
Il a été proposé qu’un profil de patient parkinsonien serait plus susceptible de développer ce trouble addictif. On retrouve en particulier les caractéristiques suivantes : homme jeune, dont la MP débute précocement, avec un plus haut niveau de recherche de sensations, plus de difficultés à planifier, plus d’antécédents personnels ou familiaux d’abus d’alcool, plus d’épisodes (hypo-)maniaques iatrogènes. Ces données sont encore débattues.
4 – Aspects neurobiologiques du jeu pathologique associé à la maladie de Parkinson
Après une période de relative accalmie à l’instauration du traitement, pendant laquelle les symptômes sont bien compensés, la MP s’aggrave. On observe alors des troubles moteurs dopa-induits (fluctuations motrices et dyskinésies) et des troubles liés à l’évolution naturelle de la maladie (troubles dysautonomiques, troubles cognitifs et troubles psycho-comportementaux), le plus souvent dopa-résistants. Les troubles cognitifs présents chez les parkinsoniens non déments sont variés avec l e plus souvent une atteinte des fonctions exécutives et visio-spatiale, permettant l’organisation et la planification des actions.
A ce jour, peu d’études ont exploré les liens entre jeu pathologique et dysfonctionnement cognitif chez les parkinsoniens. L’une d’elles indiquait que le fonctionnement du lobe frontal était identique chez les patients souffrant ou indemne du jeu pathologique. Une autre, à l’inverse, concluait que les parkinsoniens souffrant du jeu pathologique, comparés à ceux indemnes du troubles addictifs, étaient moins performants sur certaines tâches cognitives, en particulier celles évaluant la mémoire visio-spatiale à long terme et plusieurs fonctions dépendant du lobe frontal. Les troubles des fonctions exécutives étaient les seuls facteurs prédictifs indépendants de la survenue du jeu pathologique chez les parkinsoniens non déments. Ces données prolongeaient les conclusions de travaux plus anciens, portant sur des joueurs pathologiques indemnes de MP, indiquant un lien entre jeu pathologique et dysfonctionnement frontal.
Enfin, le jeu pathologique survenant au cours de la maladie de Parkinson pourrait aussi être dû à la dégénérescence du striatum ventral bien moins sévère que celle du striatum dorsal, induisant une perte du système de récompense. Autrement dit, la prédisposition à développer le jeu pathologique au cours de la maladie de Parkinson pourrait ainsi être liée à une relative préservation du circuit mésocorticolimbique, malgré des altérations dues à la maladie du circuit nigrostriatal dorsal.
Très récemment, une étude de neuro-imagerie réalisée auprès de parkinsonien présentant en outre les critères diagnostiques du jeu pathologique, et comparés à des parkinsoniens indemnes et à des sujets contrôles, retrouvait une déconnection entre le cortex cingulaire antérieur et le striatum, spécifique du groupe présentant l’association des deux maladies. Les auteurs faisaient l’hypothèse que cette déconnection sous-tendrait une altération spécifique des capacités à changer de comportement en cas d’erreurs, expliquant ainsi pourquoi les parkinsoniens joueurs pathologiques persévèrent dans des comportements risqués en dépit des dommages occasionnés.
Conclusion
Par cette revue de la littérature scientifique, il apparaît donc que plusieurs pistes explicatives peuvent être retenues, qui ne sont pas exclusives les unes des autres. Ces pistes ouvrent des perspectives de recherche, afin de mieux parvenir à préciser quels sont, pour un malade de Parkinson donné, les risques individuels de développer le jeu pathologique. Il s’agira alors de mieux cibler les stratégies thérapeutiques, dans le but de prévenir l’apparition du jeu pathologique, ou du moins de le dépister plus précocement.
transmis par Guy Seguin, président ADPLA
Rédigé par Marie Bronnec
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