Ne pas être qu'un "patient" ...

Ortophonie et maladie de Parkinson

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°51 – décembre 2012 

Véro­nique Rolland-Monnoury
Ortho­pho­niste Certi­fiée LSVT Char­gée d’enseignement

La prise en charge ortho­pho­nique des patients parkin­so­niens concerne quatre domaines : les troubles de la parole (dysar­thrie), de la déglu­ti­tion (dyspha­gie), de l’écriture (micro­gra­phie) et les troubles cogni­tifs (atten­tion, fonc­tions exécu­tives : orga­ni­sa­tion, planification).

Parole, déglu­ti­tion et écri­ture ont en commun d’être des actes moteurs haute­ment auto­ma­ti­sés qui néces­sitent une orga­ni­sa­tion séquen­tielle précise et rapide du mouve­ment pour abou­tir au bon geste ; or le dysfonc­tion­ne­ment des noyaux gris centraux dans la mala­die de Parkin­son a un impact sur ces sché­mas moteurs.

Les troubles de la parole
L’akinésie (diffi­culté à l’initiation du mouve­ment), la brady­ki­né­sie (ralen­tis­se­ment de l’exécution du mouve­ment), l’hypokinésie (réduc­tion de l’amplitude du mouve­ment) et la rigi­dité présentes dans la mala­die de Parkin­son expliquent l’origine du terme de « dysar­thrie hypokinétique ».

Il est acquis actuel­le­ment que les troubles de la parole sont un des marqueurs cliniques de la mala­die et de son évolu­tion. Il est égale­ment reconnu qu’ils surviennent dès le début de la mala­die et même parfois au cours de la période pré-​diagnostique. La dysar­thrie est un symp­tôme de la mala­die souvent négligé au stade précoce et elle ne retient l’attention que lorsque les troubles atteignent un degré impor­tant de sévé­rité indui­sant une perte d’intelligibilité. Son instal­la­tion insi­dieuse car lente­ment progres­sive n’alerte pas en début d’évolution. Ceci est d’autant plus regret­table que la prise en charge gagne en effi­ca­cité lorsqu’elle est instau­rée dès le stade initial de la mala­die. Au fil du temps, la dysar­thrie peut consti­tuer un handi­cap majeur avec retrait social et perte d’estime de soi, toujours vécu doulou­reu­se­ment par les patients et leur entourage.

La dysar­thrie parkin­so­nienne altère les diffé­rentes compo­santes de la parole.
Les troubles phona­toires, d’apparition très précoce, concernent l’intensité (la voix devient progres­si­ve­ment hypo­phone), la hauteur (avec abais­se­ment ou éléva­tion de la fréquence fonda­men­tale), la qualité vocale (le timbre devient souf­flé, voilé, éraillé, plus rare­ment rauque ou tremblé).
Les troubles proso­diques sont carac­té­ri­sés par : 

  1. la perte précoce des modu­la­tions d’intensité et de hauteur donnant à la parole un carac­tère mono­tone, manquant d’émotion.
  2. les troubles de l’organisation tempo­relle de la parole (plus tardifs dans l’évolution) et variables (ralen­tis­se­ment ou accé­lé­ra­tion du débit).
  3. les troubles de la fluence faisant évoquer par les patients un bredouille­ment ou un bégaie­ment et carac­té­ri­sés par les pali­la­lies (répé­ti­tions de phonèmes, syllabes, mots ou rhèses

Les troubles arti­cu­la­toires appa­raissent au fil de l’évolution et sont marqués par un défi­cit de la préci­sion arti­cu­la­toire, touchant notam­ment la produc­tion des occlu­sives avec phéno­mène de spiran­ti­sa­tion, carac­té­ris­tique de la MP (trans­for­ma­tion des occlu­sives en constrictives).

La prise en charge des troubles de la parole, long­temps consi­dé­rée comme inef­fi­cace, est désor­mais recon­nue comme un élément essen­tiel de l’arsenal théra­peu­tique dispo­nible pour la prise en charge globale des patients parkin­so­niens. Elle devra être précoce pour lutter contre la progres­sion des troubles et le repli sur soi engen­dré par les diffi­cul­tés de commu­ni­ca­tion. Dans un premier temps, elle visera à faire acqué­rir de nouvelles habi­le­tés motrices pour pallier les auto­ma­tismes défaillants.

La prise en charge devra être évolu­tive et adap­tée selon les besoins du patient, le stade de la mala­die, la sémio­lo­gie des troubles et leur degré de sévé­rité. Les objec­tifs varie­ront en paral­lèle : de la réédu­ca­tion de la parole au main­tien de la commu­ni­ca­tion. La prise en charge se fera à long terme, ce qui ne signi­fie pas de facto en continu. Divers moyens, approches et tech­niques sont dispo­nibles et seront mis en œuvre successivement.

Un bilan ortho­pho­nique précis consti­tuera la première étape indis­pen­sable. Il compren­dra une analyse percep­tive, une évalua­tion sensori-​motrice, une épreuve de réali­sa­tion phoné­tique, une auto-​évaluation et des rele­vés instru­men­taux. La sévé­rité des troubles sera appré­hen­dée notam­ment avec des épreuves concer­nant l’intelligibilité. Des évalua­tions de suivi seront ensuite effectuées. 

La réédu­ca­tion de la parole s’appuiera sur les prin­cipes d’apprentissage moteurs qui sont recon­nus être les plus effi­caces pour favo­ri­ser les capa­ci­tés de plas­ti­cité neuro­nale. Ces prin­cipes sont : 

  • inten­si­vité de la prise en charge (4 séances par semaine), par sessions renou­ve­lées dans le temps
  • réédu­ca­tion « ciblée », donc axée sur les exer­cices de parole pour être perti­nente et efficace,
  • réédu­ca­tion progres­sive (du plus simple au plus complexe) et répé­ti­tive (pour automatiser)
  • utili­sa­tion de feed-​back (notam­ment visuels),
  • mise en place d’une pratique constante et aléatoire,
  • accès pour les patients à la connais­sance de leurs perfor­mances et de leurs résultats.

Le proto­cole Lee Silver­man Voice Treat­ment (LSVT®) a permis une amélio­ra­tion notable de l’efficacité de la prise en charge des patients parkin­so­niens car il cible la spéci­fi­cité de la dysar­thrie parkin­so­nienne et prend en compte les troubles neuro- psycho­lo­giques liés à la mala­die (touchant notam­ment l’attention et les fonc­tions exécu­tives). Il est le trai­te­ment de choix au stade précoce et long­temps durant l’évolution de la MP. Il peut être appli­qué par sessions renou­ve­lées dans le temps selon les besoins du patient.

De nombreuses études, répon­dant à des critères métho­do­lo­giques précis, ont montré l’efficacité du proto­cole LSVT®. Des amélio­ra­tions multi-​systémiques ont été rele­vées après les sessions avec des amélio­ra­tions du fonc­tion­ne­ment laryngé, de l’articulation, de l’intelligibilité, de l’expression du faciès et une réduc­tion des troubles de déglutition.

Ce proto­cole est reconnu comme méthode réfé­rence pour la prise en charge de la dysar­thrie parkin­so­nienne (Cf. Guide du parcours de soins du patient parkin­so­nien édité par la Haute Auto­rité de santé, http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1242645/parcours-de-soins-de-la-maladie-de-parkinson).

Quand une session LSVT ne sera plus indi­quée, l’orthophoniste aura recours aux tech­niques géné­rales de réédu­ca­tion des dysar­thries. Les exer­cices choi­sis vise­ront notam­ment le travail conjoint respiration/​phonation, les aspects proso­diques (into­na­tion, accen­tua­tion, rythme et débit), l’articulation et la résonance.

Des aides instru­men­tales (comme le pacing-​board ou l’alphabet-board) consti­tue­ront un apport béné­fique pour la prise en charge des troubles du rythme de la parole.

Les outils de commu­ni­ca­tion alter­na­tive seront mis en place si la sévé­rité de la dysar­thrie ne permet plus l’intelligibilité de la parole et les échanges et lorsque la réédu­ca­tion axée sur la parole sera inef­fi­cace. Ils devront être d’utilisation simple et person­na­li­sés, c’est- à‑dire, élabo­rés avec le patient. La parti­ci­pa­tion de l’entourage sera indis­pen­sable. Il convien­dra aussi de mettre en place des stra­té­gies faci­li­tant la commu­ni­ca­tion (gestes, codes, règles) dans le cadre d’une approche écolo­gique globale.

Les troubles de la déglutition
Les troubles de la déglu­ti­tion sont fréquents. Leur préva­lence est esti­mée de façon variable selon que l’on consi­dère la plainte du patient ou leur recherche systé­ma­tique par des ques­tion­naires, des bilans cliniques ou des méthodes instru­men­tales. Globa­le­ment, la fréquence rele­vée en recueillant la plainte des patients est plus faible que celle des anoma­lies consta­tées par les études instru­men­tales. Il est probable que la dyspha­gie appa­raît tôt dans l’évolution de la mala­die. Elle s’aggrave au fil du temps.

Les symp­tômes témoignent d’un dysfonc­tion­ne­ment qui peut toucher les trois temps de la déglu­ti­tion et s’étendre des lèvres au sphinc­ter infé­rieur de l’œsophage. Dans la majo­rité des cas, les diffi­cul­tés sont obser­vées aux temps oral et/​ou pharyngé. Les plaintes des patients concernent plus fréquem­ment la déglu­ti­tion des solides que des liquides, alors que les examens ciné­ra­dio­gra­phiques révèlent davan­tage d’anomalies et de fausses routes avec les liquides.

Le bavage et les diffi­cul­tés à avaler la salive sont rappor­tés fréquem­ment, jusqu’à 78 % des patients signalent ces symp­tômes qui ne sont pas dus à une hyper­sa­li­va­tion puisque les patients ont une produc­tion compa­rable à celle des sujets témoins. Il s’agit plutôt d’une réduc­tion du nombre de déglu­ti­tions salivaires.
Durant la phase orale, il est clas­si­que­ment retrouvé un trouble de la propul­sion linguale carac­té­ris­tique condui­sant à un mouve­ment répé­ti­tif anté­ro­pos­té­rieur répé­ti­tif (dit de «  rolling  »). D’autres anoma­lies sont décrites : diffi­cul­tés de masti­ca­tion, retard de déclen­che­ment du temps pharyngé, stases vallé­cu­laires ou au niveau des sinus pyri­formes, défi­cit de propul­sion pharyn­gée et fausses routes silen­cieuses ou non. Un dysfonc­tion­ne­ment du sphinc­ter supé­rieur de l’œsophage parait égale­ment fréquent.

Les signes de sévé­rité de la dyspha­gie doivent être recher­chés. Il s’agit des compli­ca­tions respi­ra­toires (bron­chite persis­tante, pneu­mo­pa­thie, épisodes d’asphyxie), des impacts nutri­tion­nels (perte de poids, déshy­dra­ta­tion) et des consé­quences psycho­lo­giques et sociales (peur de manger, retrait social).
La prise en charge des troubles de la déglu­ti­tion compor­tera deux versants : analy­tique et fonctionnel. 

  • Des exer­cices analy­tiques vise­ront à amélio­rer ou main­te­nir la motri­cité oro-​faciale adap­tée au geste de déglu­ti­tion qui requiert ampli­tude et force.
  • La prise en charge fonc­tion­nelle permet­tra de mettre en place les adap­ta­tions néces­saires concer­nant l’installation, les outils, les textures alimen­taires. Elle abor­dera aussi les postures compen­sa­toires et surveillera l’état pondéral.

Cette prise en charge sera évidem­ment adap­tée à chaque étape et se fera en lien avec une équipe pluri­dis­ci­pli­naire et l’entourage (méde­cin ORL, neuro­logue, diété­ti­cienne, person­nel soignant, aidants…) 

Les troubles de l’écriture
Les troubles de l’écri­ture sont carac­té­ri­sés par une écri­ture dont les carac­tères s’ame­nuisent progres­si­ve­ment condui­sant à une « micrographie ».
On constate une dimi­nu­tion de la taille des lettres, un téles­co­page des éléments du graphisme, une lenteur d’exé­cu­tion. L’ini­tia­tion du mouve­ment est alté­rée et une accé­lé­ra­tion se produit en fin de phrase ou de ligne. On peut rele­ver aussi des blocages complets au milieu d’un mot ainsi que des retours en arrière avec essai de corrections.

Le balayage visuel est modi­fié car le patient revient sans cesse en arrière pour véri­fier la qualité de son écriture.

Les alté­ra­tions s’am­pli­fient au fil de l’écri­ture qui peut deve­nir tota­le­ment illi­sible. La micro­gra­phie des malades parkin­so­niens est une dysgra­phie spéci­fique : lors­qu’on étudie à la loupe les produc­tions d’un patient, on s’aper­çoit qu’elles ont gardé toutes les carac­té­ris­tiques grapho­lo­giques personnelles.

Le travail de réédu­ca­tion devra se faire sur un rythme inten­sif (3 à 4 séances par semaine pendant 4 ou 5 semaines) et visera à redon­ner de l’am­pleur et de la flui­dité au mouve­ment. Avec une parti­ci­pa­tion quoti­dienne du patient, et là aussi vigi­lance et volonté, il sera effec­tué en une ving­taine de séances et donnera des résul­tats grati­fiants. Il sera néces­saire de refaire quelques séances régu­liè­re­ment quand les béné­fices acquis s’estomperont. 

Conclu­sion
On le constate, le rôle des ortho­pho­nistes auprès des patients parkin­so­niens peut se situer à plusieurs niveaux. Dans tous les cas, les théra­peutes seront des guides qui solli­ci­te­ront parti­ci­pa­tion très active, volonté et moti­va­tion. Ils parti­ci­pe­ront égale­ment à l’éducation théra­peu­tique du patient pour l’aider à prendre en charge la mala­die de façon auto­nome le plus long­temps possible.

Ils devront égale­ment être des accom­pa­gna­teurs vigi­lants et adap­te­ront le projet théra­peu­tique à l’évolution de la mala­die. La colla­bo­ra­tion avec l’entourage sera impor­tante quand elle sera possible. De même, les échanges avec les autres profes­sion­nels médi­caux et para­mé­di­caux seront indis­pen­sables pour la cohé­rence de la prise en charge.

En accord avec le patient et son entou­rage, ils auront pour objec­tif une meilleure qualité de vie. 

Lu par Jean Pierre Laga­dec sur GP29

1 Commentaire Cliquer ici pour laisser un commentaire

  1. Merci pour vos conseils. Je vais en faire part à mon ortho­pho­niste des la semaine prochaine… En espé­rant que mon bégaie­ment sera atténué.

    Commentaire by URIEN René — 5 février 2021 #

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