Parkinson et qualité de vie
Publié le 16 juillet 2013 à 09:35Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°53
Enquête de Bernard Compere
Lorsqu’en 2003, à l’âge de 62 ans, j’ai été diagnostiqué parkinsonien, je dois avouer que ma première réaction ne fut ni positive ni constructive… ni même sans doute très courageuse. Ni lâche d’ailleurs. Non. Seulement inattendue. C’est cela, inattendue. Je n’avais jamais rien connu de semblable. La garce m’avait pris par surprise. Le coup en traître. Le coup en vache. Par derrière. Sans que je m’y attende. Comme un boxeur sonné, j’ai tout d’abord encaissé l’uppercut et mis un genou à terre. C’est-à-dire qu’en fait, sur l’instant, je n’ai pas eu de réaction du tout. La nouvelle était trop énorme, trop inconcevable, pour que je puisse en mesurer rapidement les tenants et les aboutissants. Je ne savais plus qui j’étais, où j’étais, pourquoi j’étais là. Je venais juste de prendre ma retraite. Après plus de 40 années d’une existence difficile et douloureuse. J’avais bien mérité de me reposer un peu. Du moins j’en étais persuadé. Hélas…
Ce n’est qu’au bout de plusieurs mois, reprenant progressivement mes esprits, que le caractère injuste et pour tout dire inacceptable de ma nouvelle situation m’est apparu. Il était hors de question que je me laisse abattre pour quelques milligrammes de dopamine manquant à mon paquetage. Non seulement il fallait que je fasse quelque chose, mais ce quelque chose devait ressembler à un vrai travail, bien prenant, bien pénible, et comble du comble, qu’il fût utile. Je n’ai jamais su fonctionner autrement. Un rapide coup d’œil panoramique sur mes goûts et mes compétences me fit comprendre que le plus simple était encore de capitaliser et de valoriser l’expérience acquise au cours de mes 40 années d’activité professionnelle. Puisque avant j’étais enseignant-chercheur, pourquoi ne pas tout simplement poursuivre dans cette voie qui était, au bout du compte, celle que je connaissais le mieux et qui était susceptible de répondre à mes attentes ? Partant de là, il suffisait peut-être de modifier un peu l’objet habituel de mes recherches et faire de la maladie de Parkinson, non plus mon ennemie, mais ma complice, mon nouveau centre d’intérêt, pour que la catastrophe devienne une sorte de tremplin me permettant de rebondir. C’est ainsi que je fus amené à concevoir l’idée d’une grande enquête nationale pour dresser une sorte d’état des lieux du parkinsonisme en France en 2006. Le présent « petit dossier » constitue une forme d’aboutissement provisoire et très partiel de mon travail. Il représente en quelque sorte le résultat d’une démarche paradoxale.
J’ai souhaité présenter1 dans ce dossier les différentes étapes et les différents états qui ont jalonné mon parcours. En effet, tout le monde n’est peut-être pas familiarisé avec la méthodologie de l’enquête et le traitement des données. En particulier, mon souci a été de faire comprendre par l’exemple comment on passe progressivement d’une information latente, non formulée et non formalisée, à une base de données informatisée permettant d’extraire une quasi infinité de réponses aux questions qui sont posées par les uns et par les autres.
En entreprenant ce travail, je souhaitais clarifier quelques points qui me tenaient à cœur. Mon premier souci était de redonner, ou plus exactement de donner, la parole au patient. Le système de santé que nous connaissons en France est totalement centré sur la maladie. Or soigner, si ce n’est pas toujours guérir, devrait toujours avoir comme objectif et comme préoccupation l’amélioration du malade, c’est-à-dire l’amélioration de sa qualité de vie, et la qualité de vie, loin s’en faut, ne se réduit pas à une dimension strictement médicale. Elle est la résultante de l’interaction entre de multiples facteurs et je pense que le patient est le meilleur expert, et peut-être le seul, en mesure d’apprécier véritablement le niveau de sa qualité de vie. Cette dernière notion relève du concept, c’est-à-dire de la construction intellectuelle. Elle peut éventuellement se mesurer. Elle ne doit pas être confondue avec d’autres notions qui lui sont proches, certes, mais non réductibles : l’état de santé, le bien-être et le bonheur. L’état de santé relève du bilan « biologique » et peut éventuellement s’apprécier de l’extérieur, au travers d’examens quantitatifs2. Le bien-être, quant à lui, serait plutôt sensuel, du niveau de la jouissance, non formulé et non conceptualisé, global ; le bonheur, lui, serait plutôt de l’ordre du métaphysique, voire du philosophique. A la caractéristique plurifactorielle de la qualité de vie devrait logiquement correspondre une approche pluridisciplinaire de la prise en charge, seule capable de saisir le patient dans sa globalité3 et dans ses interactions avec son environnement. La médecine scientifique « doit maintenant faire face à toute une série de maladies dégénératives et chroniques, liées à l’allongement de la durée de la vie, pour lesquelles elle a peu de réponses efficaces ». « […] on soigne des symptômes, des pathologies ou des organes. Les malades veulent être considérés dans leur globalité […] en lien avec leur environnement. » Une révision conceptuelle en profondeur s’impose donc, de toute urgence, à commencer par la redéfinition de la vie et de la mort4, de la qualité de vie, de ce qui est acceptable, négociable, inadmissible, souhaitable, possible, etc…. dans le domaine de la santé. En un mot il s’agit de définir ou redéfinir les contours d’« une médecine où le patient est au centre du débat ». Il se pourrait bien que les résultats obtenus et exposés dans ce dossier trouvent une part de leur explication dans cette problématique de la santé que nos sociétés industrielles « avancées » tentent péniblement de faire surgir, face à l’impuissance où elles se trouvent actuellement de répondre aux attentes de tous les patients potentiels. Toujours plus de technologie, toujours plus de spécialisation, toujours plus cher pour un résultat de plus en plus contestable. Est-il possible de continuer longtemps ainsi ? Est-il possible de se limiter encore longtemps à l’absorption de quelques milligrammes par jour de L. Dopa comme seul traitement de la maladie de Parkinson, alors que tant d’autres dimensions sont en attente d’une prise en charge efficace ? Et les accompagnants… ?!
Pour une information plus complète, je vous invite à consulter mon site : www.parkinsonien.fr
Vous y trouverez l’intégralité de mon travail « Parkinson et qualité de vie » où sont présentés, sous la forme de fascicules thématiques, les résultats de l’enquête menée auprès de vous : malades et accompagnants, et les conclusions provisoires, (mais ô combien instructives !), que j’ai pu échafauder… Les résultats sont parfois surprenants et toujours originaux, tant du point de vue méthodologique que de l’approche du chercheur à « double casquette » : un chercheur malade, un parkinsonien qui cherche… et qui trouve… parfois !
1Ceci n’est valable que pour le premier dossier de la série.
2Taux de glycémie, de cholestérol, etc. Radiographies, scanner, IRM, etc.
3Cf. par exemple « considérer le malade dans sa globalité, corps et esprit » Dr. Thierry JANSSEN, in Science et avenir, N° 720, Février 2007, p. 53.
4« La vie, ce n’est pas les molécules, c’est les liens entre les molécules » Linus PAULING. Linus Carl Pauling est l’une des rares personnalités à avoir reçu deux prix Nobel : le prix Nobel de Chimie en 1954 et celui de la Paix en 1962.
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Cher Bernard,
C’est avec un grand intérêt que j’ai lu votre article, votre propension a reconnaître les déboires, la difficulté d’acceptation, la mise en place des défenses et la juste colère que j’appelle « une sainte colère » font que votre article, comme celui de Jean parle au coeur de celui qui en est affecté. Je suis passée par tous ces états, voulant donner comme vous un sens à cette réalité. J’ai émis des hypothèses, suggérée des prises de conscience…Et aujourd’hui en lisant votre article je pense que les mots ont leur importance et que nous avons besoin de rapports authentiques.
De donner a Parkinson une image non de dégénérescence, même si le terme est employé mais de générer justement une colère primaire celle du pourquoi moi ? Et de ce pourquoi moi pourquoi pas moi et pourquoi plutôt l’autre ?
Et s’il s’agissait justement de moi…
Ce moi qui se confond avec les autres, ce moi qui n’ose pas vivre son désir, ce moi au fond qui n’existait pas réellement quoi qu’on en pense.
Un moi encore trop dans son moi.
Je me suis rendue compte que malgré « toutes mes connaissances » je parlais encore de moi. Alors aujourd’hui je parle de moi mais pas du moi d’avant.
Du moi éprouvé qui sait qu’un chemin ne se fait jamais seul.
Que partager son expérience est un cadeau qu’on peut partager. Que chacun y puisera ce qui l’intéresse et tant mieux.
Que parler de soi c’est inviter l’autre a parler de lui et ainsi, pour ceux qui le désirent échanger au plus profond de soi, de ses doutes et de ses lumières.
Peut-être qu’une fois la révolte passée, nécessaire. De comprendre mon besoin de m’isoler comme si je portais en moi une honte que la maladie a révélé. Après toutes les stratégies d’évitements vient le temps où simplement chaque matin j’ouvre une page blanche et je me laisse enseigner par l’apport de cette journée. Faire un commentaire ou pas, me taire, pleurer ou rire mais accueillir…
Accueillir mon désir celui d’ouvrir ma page a toutes les rencontres et vivre ce que chacune m’offre comme joie où comme déceptions, comme ce que moi je peux susciter chez l’autre aussi.
Parkinson ou pas c’est l’attitude envers moi et envers les autres qui a besoin d’être re-questionnée…Il me semble…
Merci à vous.
Bien amicalement
Louise
Commentaire by Beyer — 17 juillet 2013 #