La douleur d’un deuil profond mais apaisé par G. S.
Publié le 16 janvier 2014 à 12:39Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°55
Jamais, elle ne se serait mise en avant. Mais, aujourd’hui, je me permets de retracer ses douze années avec la maladie et son combat au quotidien pour conserver au mieux sa dignité.
Nous étions ensemble depuis 10 ans lorsque peu à peu tu t‘es sentie moins bien, tu es devenue plus fatigable et sujet à la dépression. Tu as fini par consulter. Le diagnostic est tombé : « Parkinson ». Quelques mois plus tard, en raison de fortes hallucinations, une scintigraphie venait confirmer les soupçons de Maladie du Corps de Lewy. Nous étions en 2002 mais la maladie était déjà présente depuis plusieurs années.
Avec méthode, tu t’es renseignée sur cette maladie neurodégénérative ; mais c’était difficile d’obtenir des informations précises, cette pathologie atteignant en général des sujets plus âgés. Très rapidement, tu as pris contact avec l’association de Parkinsoniens. Dans un souci d’honnêteté et de clarté, tu as tenu à informer toi-même ton entourage car tu savais que tes fonctions cognitives allaient s’altérer progressivement. Plus tard, tu exprimeras le désir d’adhérer à l’ADMD (association pour le droit à mourir dans la dignité).
Nous avons été amenés à revoir nos projets à la baisse : moins de randonnées, remplacer le petit camion par un camping-car plus confortable. Les journées étaient rythmées par la prise de médicaments : « tes petites graines » comme on disait.
Malgré tout, en 2005, nous avons fait un super voyage en Guyane avec ton fils Ronan.
En 2006, nous devions aller dans les Alpes, nous n’avons pas été plus loin que la Bourgogne : c’étaient nos dernières grandes vacances…
En 2007, tout s’est précipité, tout est devenu soudain compliqué. Tu étais devenue incohérente, tu te mettais en danger : le matin, je partais au travail en veillant à bien fermer l’arrivée du gaz. Il a fallu élaborer un plan d’aide dans l’urgence.
En 2008, les neuroleptiques (LEPONEX) ont permis de retrouver un peu d’apaisement mais j’ai quand même quitté mon travail pour pouvoir être disponible auprès de toi.
Depuis, on pourrait presque dire que ta vie se déroulait au rythme de tes chutes. Pour reprendre l’expression du neurologue, « tu avais la tension dans les chaussettes », ce qui entraînait des malaises, des petites syncopes. La maison garde des traces de tes nombreuses chutes : lampes rafistolées, rideaux déchirés, poignée du Frigo arrachée… deux cuvettes de WC explosées inondant à chaque fois la maison. Mais aussi, bien avant, deux voitures transformées en épaves : deux accidents auxquels tu as eu la chance de t’en sortir indemne.
Mais tu n’as pas échappé aux séjours à l’hôpital : mai 2010 fracture à la cheville, septembre 2011 col du fémur. La maladie n’a jamais cessé de progresser, avec parfois des paliers qui donnaient l’impression de répit. Le passage par les stades de GIR 3, GIR 2, GIR 1, venait confirmer ta perte d’autonomie.
Jamais tu ne t’es exprimée sur ton ressenti.
A plusieurs reprises, tu as fait des tentatives mais à chaque fois tu buttais, tu disais que tu ne trouvais pas les mots justes pour exprimer ce que tu vivais.
En août 2010, j’ai écrit quelques mots, des « bouts de phrases pour essayer de te rejoindre », pour t’inciter à en dire plus. Bien sûr, cela n’a pas eu l’effet escompté mais je sais que tu as relu à plusieurs reprises le petit cahier d’écolier. Peut-être y as-tu trouvé un peu de réconfort ?
Voici quelques unes de ces réflexions.
Elles donnent un éclairage sur ta maladie, sur ton quotidien…
Impression d’être condamné
A trouver tout seul les réponses
Quitte à me tromper totalement.
Parce que les mots ne sont plus tes alliés
Tu les as remisés
Comme les outils d’un autre temps
Reste ton regard : il faut y plonger
Pour trouver des mondes incertains.
La nuit, dans tes rêves agités,
Tu libères le trop-plein d’inquiétude
Tout le jour contenu.
Ton silence tes silences sont lourds de sens
Ta douceur est déroutante,
Jamais tu ne te rebelles.
Soumission, résignation
Ou profonde sagesse ?
De la patience, tu es la rude école.
Te bousculer ne sert à rien.
Une chose à la fois
Le temps pour chaque chose.
Derrière ton silence, tu es une énigme.
Comment t’en vouloir ?
Personne n’est à l’abri d’une sale maladie.
A travers ton silence,
Tu es encore plus touchante.
Parfois on dirait que tu traînes ton corps
Comme un fardeau tellement lourd
Qu’il emporte ton esprit.
Obsédée du mot juste, tu n’arrives plus
A exprimer ce que tu ressens.
Peut-être qu’il n’y a plus
De mots pour décrire ce que tu vis.
Dans tes yeux, je vois
Toute ta force, toute ta fragilité.
Résignée à la dépendance,
Tu consacres toute ton énergie
Pour conserver ta dignité.
Que d’humilité requiert le handicap :
Accepter l’aide,
Laisser son corps au soin des autres
Toujours plus de simplicité.
Autrefois, nous vivions de voyages.
Désormais, nous nous contentons
De la qualité d’une présence
Que saurai-je de tes angoisses ?
Ces réveils difficiles où tu avoues
Pudiquement avoir de mauvais rêves.
Mais bloquée derrière la barrière des mots,
Tu n’as d’autre recours qu’à un comprimé
Pour baisser la tension
Drapée de ton silence, tu as la noblesse
Des grandes dames.
Et moi, qui suis-je ? Tantôt bouffon,
Agité autour de sa reine.
Tantôt moine domestique
Consacré aux tâches répétitives
Mille façons de célébrer l’amour toujours.
Dans ton monde la tendresse n’a nul besoin
De s’extérioriser. Les mots, les caresses
Seraient un luxe pour bien-portants
Seule une lueur dans ton regard exprime
Ta reconnaissance, ta gentillesse.
Alors, comment te rejoindre
Lorsque baisers et caresses
Sont mon mode d’expression ?
Depuis j’ai été amené à me poser la question suivante : Et si ton silence était ton dernier espace de liberté ? Alors, j’ai décidé de le respecter.
Il ne nous restait plus qu’un geste, un regard pour communiquer. De la tendresse, beaucoup de tendresse, des overdoses de tendresse… à tel point que je me suis demandé si la tendresse n’était pas une drogue. Cela nous a permis de tenir jusqu’au bout.
A la fin, tout était devenu compliqué, surtout les repas. Tu dormais de plus en plus et les moments où tu étais présente se faisaient de plus en plus rares. La maladie nous a appris à vivre au présent, à profiter de l’instant. Aux premiers beaux jours, nous avons fait le tour de l’étang de Gruellau. A Pâques, tu as été un peu mieux pendant quelques jours ce qui t’a permis de participer à l’AG de l’association et de partager le repas avec nos amis parkinsoniens.
A la pentecôte, une infection pulmonaire a failli t’emporter. Depuis, tu étais en soins palliatifs. Tu as pris ton temps pour partir ; tes amis, tes proches ont pu ainsi te dire au revoir.
Depuis, au fond d’un tiroir, j’ai trouvé un papier plié en quatre au dos duquel tu avais écrit ces quelques mots au crayon :
« Soyez attentifs à ce que vous vivez, à ce que vous ressentez. C’est comme cela que vous allez vous construire petit à petit, vous connaître, connaître les sentiments qui sont en vous, les capacités, et c’est à partir de cela que vous allez les enrichir, les développer, écartant les erreurs, les reconnaissant, allant toujours plus loin.
Respectez-vous, écoutez-vous, ne vous laissez pas aller dans quelque chose qui n’est pas vous, qui est contre votre « sens », votre route, votre nature. Chacun est différent, ne vous comparez pas, ne cherchez pas à être comme… Pour plaire vous vous détruiriez. Ne vous sentez ni moins ni plus, sentez-vous vous-mêmes. Chacun a sa propre valeur.
Si vous vous reconnaissez vous-mêmes, vous acceptez vous-mêmes, vous serez reconnus, acceptés, vous serez heureux. Sinon vous serez toujours malheureux. Mais tout ceci n’est pas facile, sachez le. Cela nécessite un travail sur soi. Plus vous le ferez régulièrement, mieux vous vivrez. »
C’était comme un dernier cadeau. Cette ligne de vie, tu te l’aies toujours appliquée, veillant à être juste en toute circonstance. Merci pour cette leçon de vie.
Parmi les nombreux mots de sympathie que j’ai reçus, je voudrais citer cette phrase de l’équipe de Vivre à Domicile, les aides soignant(e)s qui l’ont accompagnée pendant cinq ans et demi : « Nous garderons l’image de son humanité et la bienveillance de son regard ».
Oui, c’est bien ce souvenir que nous voulons garder d’elle.
Rédigé par G. S.
4 Commentaires Cliquer ici pour laisser un commentaire
Laisser un commentaire
Flux RSS des commentaires de cet article. Rétrolien URI
Propulsé par WordPress et le thème GimpStyle créé par Horacio Bella. Traduction (niss.fr).
Flux RSS des Articles et des commentaires.
Valide XHTML et CSS.
merci pour votre témoignage où chaque mot a un sens et où le respect du silence final prend tout son sens,car il parle plus fort encore à celle qui avait
atteint LA SAGESSE.Moi même malade,j’en suuis encore au stade de l’espérance.….mais la maladie avance et j’en viens à « penser « vos mots.……
MERCI Bernard Dupont.
Commentaire by dupont benard — 16 juin 2017 #
Oui, très juste les seuls vrais remèdes sont Amour, Affection, Attention
MERCI pour cette belle leçon de vie
toute ma compassion bienveillante à G S
Annie
Commentaire by Annie — 12 février 2014 #
émouvant
Commentaire by espoir — 20 janvier 2014 #
beau témoignage mais cela fait peur que ressens tu en le lisant bonne journee
Commentaire by sashka — 20 janvier 2014 #