Ne pas être qu'un "patient" ...

Plus de clairvoyance pour la recherche causale

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°46 – octobre 2011 

Par le profes­seur Dr. Peter JENNER
Direc­tor du Neuro­de­ge­ne­ra­tive diseases Research Centre of School Of Health and Biome­di­cal Sciences, King’s College, Londres

Tradi­tion­nel­le­ment, la mala­die de Parkin­son est asso­ciée à la dégé­né­res­cence des neurones dopa­mi­ner­giques dans la substan­tia nigra et à la perte de dopa­mine stria­tale qui en résulte, facteur déclen­chant des symp­tômes moteurs. Un point de vue qui explique pour­quoi depuis près de quarante ans, la substi­tu­tion de la dopa­mine manquante par l’administration de levo­dopa ou d’agonistes dopa­mi­ner­giques consti­tue la clé de voûte du trai­te­ment anti­par­kin­so­nien. Un point de vue parfait dont la véra­cité n’est pas contes­tée, mais qui, comme nous le savons aujourd’hui, est nette­ment insuffisant.

En réalité, la mala­die de Parkin­son est défi­nie par une multi­tude d’altérations patho­lo­giques – dans le cerveau comme dans les organes péri­phé­riques – et par de nombreuses anoma­lies biochi­miques céré­brales qui résultent des alté­ra­tions patho­lo­giques primaires ou des adap­ta­tions consé­cu­tives à la perte de dopamine.

Tout cela modi­fie égale­ment l’équilibre de diffé­rents autres systèmes neuro­trans­met­teurs, qui à leur tour contri­buent au déclen­che­ment des symp­tômes moteurs ou non-​moteurs du Parkin­son. S’ajoutent à cela les fluc­tua­tions motrices (phéno­mène de « wearing-​off » et phases « on/​off ») et les compli­ca­tions motrices qui accom­pagnent le trai­te­ment médi­ca­men­teux et la progres­sion de la maladie. 

La multi­pli­cité des facteurs cités et leur influence contra­dic­toire explique la complexité de la mala­die de Parkin­son et le nombre de diffi­cul­tés que doivent surmon­ter les méde­cins quand ils essaient de contrô­ler au mieux les diffé­rents aspects du tableau clinique très indi­vi­duel du Parkinson. 

Tout incon­vé­nient mani­feste n’en est pas un.
Nombre de ceux qui ont commencé la lecture de cet article ne souhaitent pas pour­suivre au-​delà de ce point. L’espoir de pouvoir isoler et analy­ser les rela­tions très complexes décrites précé­dem­ment semble trop faible pour permettre une compré­hen­sion détaillée de la situa­tion. Cepen­dant, si abstrus que cela semble, c’est préci­sé­ment de la complexité du Parkin­son que pour­rait décou­ler une nouvelle approche pour le futur trai­te­ment médi­ca­men­teux d’une mala­die qui est davan­tage un syndrome tout entier. 

Ci-​après, je souhaite notam­ment déve­lop­per la conscience du fait que les proces­sus de La mala­die de Parkin­son dépassent large­ment une simple baisse du taux de dopa­mine stria­tale et que les trai­te­ments futurs devraient suivre une approche « inté­grale » afin d’obtenir une norma­li­sa­tion globale du déséqui­libre des trans­met­teurs occa­sionné par la mala­die de Parkinson. 

La patho­lo­gie du Parkinson
Quiconque sort de l’arène dopa­mine pour la première fois découvre rapi­de­ment l’ampleur et la complexité du tableau patho­lo­gique du Parkin­son. La perte des neurones n’a pas lieu seule­ment dans le système dopa­mi­ner­gique. Elle concerne égale­ment diffé­rents systèmes mono­ami­ner­giques, parmi lesquels le locus coeru­leus et les noyaux du raphé. Elle conduit à une baisse de la concen­tra­tion en nora­dré­na­line et en séro­to­nine (5‑HT) (deux substances trans­met­trices comme la dopa­mine) dans diffé­rentes zones du cerveau. 

Par ailleurs, les dites projec­tions choli­ner­giques corti­cales dégé­nèrent dans le prosen­cé­phale. Il s’agit d’altérations patho­lo­giques bien docu­men­tées, clai­re­ment iden­ti­fiable en tant que Parkin­son par la présence de corps de Lewy. Les carac­té­ris­tiques patho­lo­giques dans les noyaux olfac­tifs, dans le noyau dorsal du nerf vague et du noyau pédon­cu­lo­pon­tin génèrent des alté­ra­tions de l’innervation dans le tronc céré­bral, le mésen­cé­phale et le prosen­cé­phale par les neuro­trans­met­teurs acétyl­cho­line, gluta­mate et GABA (acide gamma-aminobutyrique). 

Une telle analyse détaillée des pertes de neurones dans le cerveau montre clai­re­ment qu’en cas de Parkin­son, les neurones dispa­raissent dans des régions très diffé­rentes du cerveau – c’est la raison pour laquelle diffé­rents systèmes de trans­mis­sion sont atteint.

Tout ceci indique que la mala­die de Parkin­son est carac­té­ri­sée par des alté­ra­tions patho­lo­giques complexes qui ne concernent pas unique­ment la dopa­mine, mais bien plusieurs neurotransmetteurs. 

Malheu­reu­se­ment, personne ne sait très préci­sé­ment comment tout cela mène aux symp­tômes du Parkin­son. Cepen­dant, étant donné que la mala­die de Parkin­son comporte des symp­tômes moteurs et non-​moteurs qui réagissent très mal, voire pas du tout à la médi­ca­tion dopa­mi­ner­gique, il est fort possible que ces symp­tômes résis­tants à la théra­pie émanent de la perte de neurones non-​dopaminergiques en dehors des ganglions de la base – et soient donc impu­tables à un déséqui­libre dans un autre système de transmission. 

Cette hypo­thèse semble d’autant plus probable que l’on sait aujourd’hui que d’autres neuro­trans­met­teurs – tels que la nora­dré­na­line, la séro­to­nine (5‑HT) et l’acétylcholine – inter­agissent de manière complexe avec les neurones dopa­mi­ner­giques et jouent par consé­quent, selon toute vrai­sem­blance, un rôle dans les aspects moteurs de la mala­die de Parkin­son. En outre, le lien entre les carac­té­ris­tiques patho­lo­giques dans les régions non-​dopaminergiques du cerveau et la progres­sion lente de la mala­die, pour­rait être d’une impor­tance capi­tale. A cet égard, nous sommes à présent contraints de penser de manière non conventionnelle.

La mala­die se déclare-​t-​elle tout à fait ailleurs ?
Jusqu’à présent, la recherche des causes du Parkin­son mettait l’accent sur la substance noire et la perte de neurones dopa­mi­ner­giques. Une approche qui pour­rait se révé­ler fausse. En effet, certaines obser­va­tions indiquent que la mala­die n’apparaît ni dans la substance noire, ni dans les ganglions de la base ! 

Au contraire, on suppose qu’il s’agit plutôt d’une patho­lo­gie systé­mique qui trouve son origine dans les organes péri­phé­riques, chemine via le système nerveux central dans le tronc céré­bral, s’étend dans le cerveau et seule­ment ensuite atteint les neurones dopa­mi­ner­giques de la substance noire avant que les neurones choli­ner­giques qui alimentent le prosen­cé­phale soient détruits.

Certes, ce scéna­rio est contro­versé – mais le concept de mala­die progres­sive corres­pond parfai­te­ment bien aux nombreuses alté­ra­tions patho­lo­giques et biochi­miques et au fait que les symp­tômes moteurs n’apparaissent que rela­ti­ve­ment tard dans l’évolution de la mala­die et qu’ils sont précé­dés par toute une série d’aspects non-​moteurs tels que la consti­pa­tion, la perte d’odorat, les jambes sans repos, les troubles du compor­te­ment dans le sommeil para­doxal, les dépres­sions et les états anxieux. 

Alté­ra­tions adaptatives
Pour en reve­nir à la perte primaire de neurones dopa­mi­ner­giques dans la substance noire, il s’avère que des alté­ra­tions adap­ta­tives dans les proces­sus biochi­miques appa­raissent d’une part dans les réseaux des ganglions de la base, et d’autre part dans les boucles qui commandent les mouve­ments volon­taires via le thala­mus, le cortex-​moteur et en retour vers les ganglions de la base. En d’autres termes : si l’alimentation en dopa­mine des ganglions de la base vis la substance noir est pertur­bée, l’activité des neurones qui utilisent les autres trans­met­teurs que la dopa­mine (par ex. : l’acétylcholine, le gluta­mate ou le GABA) est obli­ga­toi­re­ment modi­fiée. Et ce parce que les neurones des ganglions de la base sont agen­cés dans des chaînes alignées ou paral­lèles, qui traitent les infor­ma­tions motrices, senso­rielles ou cogni­tives et permettent les mouve­ments contrô­lés par le biais de boucles avant et arrière.

Ou plus simple­ment : en cas de Parkin­son, la perte de dopa­mine modi­fie paral­lè­le­ment l’activité élec­trique des neurones, au-​delà de la voie dopa­mi­ner­gique endom­ma­gée ! La libé­ra­tion des neuro­trans­met­teurs qui ache­minent les signaux entre les neurones succes­sifs de la chaîne est égale­ment trans­for­mée. Ainsi, la perte de dopa­mine dans les ganglions de la base génère égale­ment des modi­fi­ca­tions dans la trans­mis­sion du signal par l’acétylcholine, le gluta­mate et le GABA. Cela explique pour­quoi des médi­ca­ments, tel l’Amantadine, anta­go­niste des récep­teurs NMDA, et le benz­hexol, anta­go­niste de la musca­rine, qui agissent sur d’autres systèmes de trans­mis­sion que le système dopa­mi­ner­gique, peuvent influen­cer les symp­tômes du Parkin­son. L’action posi­tive d’une palli­do­to­mie et de la stimu­la­tion céré­brale profonde s’explique.

Que signi­fie tout cela ?
La substi­tu­tion tradi­tion­nelle de la dopa­mine par la L‑dopa permet sans aucun doute une amélio­ra­tion dras­tique des symp­tômes moteurs du Parkin­son et, dans une certaine mesure, des problèmes non-​moteurs tels que les troubles du sommeil, les alté­ra­tions de la percep­tion senso­rielle et les dépressions.

De grands défis doivent encore être rele­vés lors du trai­te­ment de toute la gamme des compo­santes patho­lo­giques motrices (marche, équi­libre) et – notam­ment – de nombreux aspects non-​moteurs (capa­ci­tés cogni­tives, langage, compor­te­ment obses­sion­nels, douleurs), et des compli­ca­tions motrices connues (dyski­né­sies, free­zing) et des fluc­tua­tions. Pour un meilleur contrôle théra­peu­tique, nous devons toute­fois regar­der et penser plus loin et créer de nouvelles condi­tions dans lesquelles les alté­ra­tions neuro­nales à la fois dopa­mi­ner­giques et non-​dopaminergiques peuvent être abor­dées – et ce à l’intérieur comme à l’extérieur des ganglions de la base. En matière de trai­te­ment médi­ca­men­teux, nous devons donc adop­ter une approche inté­gra­tive, globale. 

Il est éven­tuel­le­ment envi­sa­geable de cibler indi­vi­duel­le­ment les systèmes non-​dopaminergiques, dont on sait qu’ils sont touchés par la mala­die de Parkin­son. Des tenta­tives sont déjà conduites actuel­le­ment, avec des médi­ca­ments qui agissent sur les récep­teurs de la séro­to­nine (sari­zo­tan), de la nora­dré­na­line (fipa­me­zole) et de l’adénosine (istra­dé­fyl­line, prela­de­nant). Cepen­dant, à ce jour ces substances ne consti­tuent qu’un complé­ment au trai­te­ment dopa­mi­ner­gique. Les patients doivent donc prendre encore plus de pilules et ces dernières n’apportent jusqu’à présent que peu de progrès. 

A la recherche de « la » superpilule
Le plus grand espoir repo­se­rait sur les médi­ca­ments multi­fonc­tion­nels, qui combinent plusieurs effets phar­ma­co­lo­giques, remplacent la dopa­mine tout en stabi­li­sant et en norma­li­sant les anoma­lies des trans­met­teurs sur lesquelles reposent de nombreux symp­tômes de la mala­die de Parkinson.

Toute­fois, compte tenu de la complexité des liens de causa­lité, il est plus diffi­cile de savoir comment une telle action inté­grale doit être visée. La trans­mis­sion de l’activité élec­trique des neurones pour­rait être une possi­bi­lité. Elle est défi­nie par le travail des dits canaux ioniques, qui régulent le flux du calcium, du potas­sium et du sodium vers les neurones et en dehors des neurones. Ce méca­nisme géné­ral, qui est valable pour de nombreux types de neurones diffé­rents, pour­rait offrir la future géné­ra­tion de molé­cule pour le trai­te­ment de Parkinson. 

Des expé­riences prouvent le poten­tiel de tels concepts futu­ristes. Elles démontrent que les modi­fi­ca­tions de l’activité des canaux sodiques dans le sous-​thalamus peuvent provo­quer des amélio­ra­tions des compo­santes cliniques de Parkin­son qui ne peuvent aujourd’hui être contrô­lées que par des inter­ven­tions chirur­gi­cales. Une autre appli­ca­tion pour­rait toute­fois en résul­ter : une norma­li­sa­tion de la fonc­tion neuro­nale dans l’ensemble du cerveau.

Malheu­reu­se­ment de tels médi­ca­ments restent jusqu’à présent un pur concept – et sont loin d’être dispo­nibles. Il ne fait toute­fois aucun doute que consi­dé­rer le cerveau dans sa globa­lité fait davan­tage avan­cer la recherche que de se concen­trer sur le seul système dopa­mi­ner­gique. Le Parkin­son est beau­coup trop complexe pour cela.

Source : EPDA Plus, n°14 2010

Dans la revue Parkin­son Suisse N°102 de juillet 2011

Lu par Jean GRAVELEAU

1 Commentaire Cliquer ici pour laisser un commentaire

  1. En bref, pauvres de nous ?
    Pour posi­ti­ver, ce qui m’a paru vital après un tel article, Serguey Brin, cofon­da­teur de Google, met beau­coup d’argent et d’éner­gie dans la recherche contre Parkin­son, en émet­tant l’hy­po­thèse qu’il faut cher­cher tous azimuts.
    Compte tenu de l’in­ven­ti­vité qui a donné nais­sance à Google, gageons que l’adop­tion d’un plan de recherches basé sur la même philo­so­phie va forcé­ment débou­cher sur des décou­vertes importantes !

    Commentaire by Marie-Paule Subarroque — 16 octobre 2011 #

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