Ne pas être qu'un "patient" ...

Exploration des liens entre maladie de Parkinson et addictions comportementales, par l’exemple de jeu pathologique

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°50 – septembre 2012 

Par Marie Grall-​Bronnec, CHU Nantes

La mala­die de Parkin­son (MP), mala­die neuro­dé­gé­né­ra­tive la plus fréquente après la mala­die d’Alzheimer, entre­tient des liens étroits et complexes avec le jeu patho­lo­gique. La préva­lence du jeu patho­lo­gique chez les patients parkin­so­niens trai­tés par agonistes dopa­mi­ner­giques varie entre 2.3 et 8% bien supé­rieur à celle de la popu­la­tion géné­rale. Il est possible d’envisager plusieurs modèles expli­ca­tifs de cette sur-​représentation du jeu patho­lo­gique chez les malades de Parkinson.

1 – le jeu patho­lo­gique comme effet indé­si­rable des médi­ca­ments de la MP.
L’association du jeu patho­lo­gique et de la MP est décrite pour la première fois dans la litté­ra­ture scien­ti­fique il y a une dizaine d’années, sous la forme de rapports de cas. L’hypothèse d’une origine iatro­gène décou­lait du constat que le jeu patho­lo­gique était secon­daire à la MP, appa­rais­sant ou s’aggravant sous l’effet du trai­te­ment dopa­mi­ner­gique. Le compor­te­ment patho­lo­gique surve­nait durant les phases « on » de la MP, chez des patients présen­tant des fluc­tua­tions motrices. Plusieurs autres études ont depuis décrits cette asso­cia­tion, et la quasi-​totalité des dopa­mi­no­mi­mé­tiques est en cause dans le déve­lop­pe­ment du jeu patho­lo­gique iatro­gène. Le plus souvent, le médi­ca­ment incri­miné est un agoniste dopa­mi­ner­gique, dont le prami­pexole©, le ropi­ni­role©, le pergo­lide©, le piri­bé­dil© ou la bromo­crip­tine©. A l’inverse, d’autres études ont aussi mis en cause la mono­thé­ra­pie par carbidopa/​lévodopa. L’association de la carbidopa/​lévodopa avec un agoniste dopa­mi­ner­gique, entraî­nant ainsi des problèmes de jeu par rapport à la mono­thé­ra­pie par l’un ou l’autre.

De façon plus géné­rale, des troubles de contrôles des impul­sions (incluant aussi hyper­sexua­lité, achats compul­sifs, hyper­pha­gie bouli­mique) sont décrits comme des effets indé­si­rables des médi­ca­ments antiparkinsoniens.

2 – Le jeu patho­lo­gique comme consé­quence d’un mésusage des médi­ca­ments de la MP
Une autre hypo­thèse phar­ma­co­lo­gique appa­raît rapi­de­ment après la précé­dente, celle d’un usage compul­sif des médi­ca­ments dopa­mi­ner­giques. Une équipe suisse a ainsi rapporté le cas de deux patients parkin­so­niens, qui en raison d’une dété­rio­ra­tion de leur mala­die neuro­lo­gique, s’auto-médiquaient avec leur trai­te­ment dopa­mi­ner­gique et déve­lop­paient dans un second temps une pratique des jeux de hasard et d’argent. Les auteurs incri­mi­naient un défi­cit du système de récom­pense dopa­mi­ner­gique lié à la MP, compensé par une sur-​stimulation des récep­teurs dopa­mi­ner­giques, indui­sant une recherche de nouveauté accrue. 

Cet usage compul­sif de médi­ca­ment fait partie du Syndrome de Dysré­gu­la­tion Dopa­mi­ner­gique, asso­cié à des effets indé­si­rables moteurs (dyski­né­sies induites par la levo­dopa) et des effets indé­si­rables compor­te­men­taux (troubles du contrôle des impul­sions dont le jeu patho­lo­gique, hypo­ma­nie, hallu­ci­na­tion). Le Syndrome de Dysré­gu­la­tion Dopa­mi­ner­gique, induit par le trai­te­ment et auto-​entretenu, serait le syndrome inverse de l’apathie. Il corres­pond à une hyper­do­pa­mi­ner­gie, sous-​tendant la recherche de plai­sirs sous toutes ses formes. Les médi­ca­ments dopa­mi­no­mi­mé­tiques, dont la fonc­tion est de corri­ger la déplé­tion dopa­mi­ner­gique, stimulent les voies dopa­mi­ner­giques, dont celle du système de récom­pense, impli­qué dans divers troubles addic­tifs, à l’origine du Syndrome de Dysré­gu­la­tion Dopaminergique. 

Ce syndrome peut être induit par tous les médi­ca­ments dopa­mi­no­mi­mé­tiques. La défi­ni­tion d’un seuil, au-​delà duquel il est possible d’évoquer un Syndrome de Dysré­gu­la­tion Dopa­mi­ner­gique, est impos­sible compte tenu des grandes varia­tions indi­vi­duelles de la réponse théra­peu­tique aux médi­ca­ments dopaminergiques. 

3 – Facteurs de risque de deve­nir joueur patho­lo­gique en cas de mala­die de Parkinson
Comment expli­quer que seule une mino­rité de malades de Parkin­son déve­loppe cette compli­ca­tion ? Est-​ce dû au trai­te­ment (molé­cules choi­sies, poso­lo­gie employée) ? Est-​ce dû au patient (facteurs de vulné­ra­bi­li­tés indi­vi­duels…) ? Est-​ce dû à la MP (formes cliniques parti­cu­lières…) ? Les données de la litté­ra­ture ne permettent pas encore de répondre à toutes ces questions…

Pour certains, le prami­pexole© consti­tue­rait l’agoniste dopa­mi­ner­gique le plus souvent incri­miné dans le troubles du contrôle des impul­sions, tandis que pour d’autres, il n’y aurait pas de diffé­rence entre les diffé­rents agonistes dopa­mi­ner­giques. La levo­dopa et l’apomorphine seraient les molé­cules les plus impli­quées dans le Syndrome de Dysré­gu­la­tion Dopaminergique.

Des résul­tats contra­dic­toires portent aussi sur la rela­tion entre la poso­lo­gie et l’induction du jeu patho­lo­gique. Pour certains, il existe une rela­tion dose/​effet des agonistes sur le déve­lop­pe­ment du jeu patho­lo­gique. Pour d’autres, la plus faible dose d’agoniste utili­sée suffit à déclen­cher un trouble du contrôle des impul­sions. Certains affirment enfin l’absence de rela­tion entre les doses pres­crites et la surve­nue du jeu patho­lo­gique, évoquant une vulné­ra­bi­lité sous-jacente. 

Il a été proposé qu’un profil de patient parkin­so­nien serait plus suscep­tible de déve­lop­per ce trouble addic­tif. On retrouve en parti­cu­lier les carac­té­ris­tiques suivantes : homme jeune, dont la MP débute préco­ce­ment, avec un plus haut niveau de recherche de sensa­tions, plus de diffi­cul­tés à plani­fier, plus d’antécédents person­nels ou fami­liaux d’abus d’alcool, plus d’épisodes (hypo-)maniaques iatro­gènes. Ces données sont encore débattues. 

4 – Aspects neuro­bio­lo­giques du jeu patho­lo­gique asso­cié à la mala­die de Parkinson
Après une période de rela­tive accal­mie à l’instauration du trai­te­ment, pendant laquelle les symp­tômes sont bien compen­sés, la MP s’aggrave. On observe alors des troubles moteurs dopa-​induits (fluc­tua­tions motrices et dyski­né­sies) et des troubles liés à l’évolu­tion natu­relle de la mala­die (troubles dysau­to­no­miques, troubles cogni­tifs et troubles psycho-​comportementaux), le plus souvent dopa-​résistants. Les troubles cogni­tifs présents chez les parkin­so­niens non déments sont variés avec l e plus souvent une atteinte des fonc­tions exécu­tives et visio-​spatiale, permet­tant l’organisation et la plani­fi­ca­tion des actions.

A ce jour, peu d’études ont exploré les liens entre jeu patho­lo­gique et dysfonc­tion­ne­ment cogni­tif chez les parkin­so­niens. L’une d’elles indi­quait que le fonc­tion­ne­ment du lobe fron­tal était iden­tique chez les patients souf­frant ou indemne du jeu patho­lo­gique. Une autre, à l’inverse, concluait que les parkin­so­niens souf­frant du jeu patho­lo­gique, compa­rés à ceux indemnes du troubles addic­tifs, étaient moins perfor­mants sur certaines tâches cogni­tives, en parti­cu­lier celles évaluant la mémoire visio-​spatiale à long terme et plusieurs fonc­tions dépen­dant du lobe fron­tal. Les troubles des fonc­tions exécu­tives étaient les seuls facteurs prédic­tifs indé­pen­dants de la surve­nue du jeu patho­lo­gique chez les parkin­so­niens non déments. Ces données prolon­geaient les conclu­sions de travaux plus anciens, portant sur des joueurs patho­lo­giques indemnes de MP, indi­quant un lien entre jeu patho­lo­gique et dysfonc­tion­ne­ment frontal. 

Enfin, le jeu patho­lo­gique surve­nant au cours de la mala­die de Parkin­son pour­rait aussi être dû à la dégé­né­res­cence du stria­tum ventral bien moins sévère que celle du stria­tum dorsal, indui­sant une perte du système de récom­pense. Autre­ment dit, la prédis­po­si­tion à déve­lop­per le jeu patho­lo­gique au cours de la mala­die de Parkin­son pour­rait ainsi être liée à une rela­tive préser­va­tion du circuit méso­cor­ti­co­lim­bique, malgré des alté­ra­tions dues à la mala­die du circuit nigros­tria­tal dorsal. 

Très récem­ment, une étude de neuro-​imagerie réali­sée auprès de parkin­so­nien présen­tant en outre les critères diag­nos­tiques du jeu patho­lo­gique, et compa­rés à des parkin­so­niens indemnes et à des sujets contrôles, retrou­vait une décon­nec­tion entre le cortex cingu­laire anté­rieur et le stria­tum, spéci­fique du groupe présen­tant l’association des deux mala­dies. Les auteurs faisaient l’hypothèse que cette décon­nec­tion sous-​tendrait une alté­ra­tion spéci­fique des capa­ci­tés à chan­ger de compor­te­ment en cas d’erreurs, expli­quant ainsi pour­quoi les parkin­so­niens joueurs patho­lo­giques persé­vèrent dans des compor­te­ments risqués en dépit des dommages occasionnés. 

Conclu­sion
Par cette revue de la litté­ra­ture scien­ti­fique, il appa­raît donc que plusieurs pistes expli­ca­tives peuvent être rete­nues, qui ne sont pas exclu­sives les unes des autres. Ces pistes ouvrent des pers­pec­tives de recherche, afin de mieux parve­nir à préci­ser quels sont, pour un malade de Parkin­son donné, les risques indi­vi­duels de déve­lop­per le jeu patho­lo­gique. Il s’agira alors de mieux cibler les stra­té­gies théra­peu­tiques, dans le but de préve­nir l’apparition du jeu patho­lo­gique, ou du moins de le dépis­ter plus précocement. 

trans­mis par Guy Seguin, président ADPLA
Rédigé par Marie Bron­nec

Pas encore de Commentaires Cliquer ici pour laisser un commentaire

Laisser un commentaire

XHTML: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Flux RSS des commentaires de cet article. Rétrolien URI

Propulsé par WordPress et le thème GimpStyle créé par Horacio Bella. Traduction (niss.fr).
Flux RSS des Articles et des commentaires. Valide XHTML et CSS.