Lecture du protocole de recherche clinique
Publié le 16 septembre 2004 à 23:32paru dans Le Parkinsonien Indépendant n°18 — septembre 2004
« Lecture du protocole de recherche clinique »
Formation dispensée par l’INSERM le 11 juin 2004
Extrait de la plaquette de présentation du projet.
« L’INSERM propose une journée de formation à toutes les associations de malades, de personnes handicapées et de leurs familles qui sont concernées par la recherche clinique. Elle s’adresse aux membres et collaborateurs des associations qui souhaitent compléter leur expérience pratique par des connaissances nouvelles leur facilitant la lecture du protocole de recherche clinique. »
« Cette formation s’attachera à rendre compréhensible les termes techniques, les concepts, les outils méthodologiques ainsi que les questions éthiques sous-jacentes à toute démarche de recherche clinique. »
Mandaté par l’association CECAP pour la représenter dans ce projet, j’ai donc eu le privilège de bénéficier d’une journée de formation le 11 juin 2004 animée par Bernard-Marie DUPONT, médecin, docteur en éthique et François FAURISSON, pharmacologue. Intervenant à tour de rôle, le premier nous a fait aborder la recherche sous l’angle « philosophique » alors que le second nous a initiés aux méthodes scientifiques de la statistique, fondement essentiel des protocoles de recherche clinique.
Claude BERNARD (1813 ’ 1878) écrivait : « Dans la pratique de la vie, les hommes ne font que faire des expériences les uns sur les autres ». HIPPOCRATES fondait déjà sa médecine sur la recherche. L’expérience médicale s’appuie sur l’expérimentation scientifique.
Il faut alors identifier les questions éthiques qu’elle soulève. Quel que soit le volontaire, sain ou malade, le problème reste identique : il s’agit toujours d’une personne que l’on doit respecter à travers un statut contradictoire ; celui de patient expérimental, c’est-à-dire d’acteur passif.
Claude BERNARD définit l’essence de la médecine scientifique et expérimentale :
— Elle remet en cause en permanence les savoirs et leurs fondements
— Elle cherche la validation d’hypothèses nouvelles par les faits
— Elle propose des stratégies de validation d’hypothèses nouvelles
Une notion à retenir : l’E.B.M. (Evidence Based Medecine) : une médecine fondée sur les preuves, des faits prouvés et sur des niveaux de preuves. Il consiste à intégrer à la démarche clinique du praticien les recherches cliniques les mieux conduites dans le domaine du diagnostic, du pronostic et du traitement de la maladie visée. Il s’agit de mettre en Suvre des standards de qualité irréprochable en permettant : « Un accès rapide à des sources d’informations fiables, régulièrement mises à jour, présentant de façon explicite et honnête les résultats de la recherche. » (D. J. Sackett 1996).
Les cinq étapes de l’E.B.M. :
— Transformer le problème clinique envisagé en une réponse rationnelle à laquelle il devra être possible de répondre.
- Rechercher la meilleure information permettant de répondre à la question posée, formalisée à la première étape, en mettant à disposition des praticiens des bases de données informatisées dites pertinentes.
- Evaluer l’information en trois temps : l’appréciation du degré de validité (le rapport à la vérité), l’impact (importance de l’effet), l’utilité pratique.
- Se souvenant que l’E.B.M. n’est pas une fin en soi mais un outil d’aide au diagnostic et au soin, intégrer cette évaluation statistique au jugement clinique.
- Pour guider la décision clinique, s’en tenir à une hiérarchie des preuves : le plus haut de preuve sera accordé aux revues systématiques d’essais contrôlés randomisés fournissant des résultats homogènes et aux essais contrôlés dont les résultats se situent dans des intervalles de confiance étroits.
Les études basées sur les opinions des experts, sans évaluation critique, reçoivent le plus bas niveau de preuve.
S’agit-il d’une nouvelle éthique médicale ? Mais d’abord qu’est ce que l’éthique ?
Paul RICOEUR : « Je propose de distinguer entre éthique et morale, de réserver le terme d’éthique pour tout le questionnement qui précède l’introduction de l’idée de loi morale et de désigner par morale tout ce qui, dans l’ordre du bien et du mal, se rapporte à des lois, des normes, des impératifs. »
Les trois pôles du triangle éthique : Ma liberté, Ta liberté, Notre responsabilité.
« C’est à l’intersection de ces trois pôles que je réserve le titre d’intention éthique. »
L’intervenant nous rappelle l’impératif catégorique Kantien : « Agit de telle manière que tu traites l’Autre toujours comme une fin en soi, jamais seulement comme un moyen. »
L’expérimentation éthique
« A strictement parler, chaque prescription d’un remède est une expérience. » O. W. Holmes
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la découverte de la collusion de nombreux scientifiques avec une idéologie barbare fut à l’origine d’une prise de conscience éthique et politique. En effet, jamais dans l’histoire de l’humanité les expérimentations scientifiques sur l’homme n’avaient atteint une telle inhumanité.
En 1948, l’Organisation des Nations Unies affirma « le droit à la vie pour tout individu » et le refus de la « torture, des traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Les déclarations d’Helsinki (1964) et de Tokyo (1977) actualisèrent ces considérations éthiques.
La succession de codes et de lois est le signe d’une évolution permanente de l’art de soigner. La médecine cherche à connaître pour soigner, prévenir ou réparer. La recherche ne progresse qu’en confrontant la somme des connaissances toujours plus nombreuses à des expérimentations sans cesse à renouveler, confirmer ou infirmer. La recherche clinique, pleinement humaine, sollicite la participation active des patients.
Les essais cliniques : quels fondements ?
L’idée de progrès continu et d’un épanouissement naturel de l’espèce humaine venait de s’évanouir à Auschwitz. Il fallait donc encadrer les pratiques en posant cette question : comment éviter l’expérimentation synonyme d’oppression et de manipulation ’ Divers codes éthiques furent élaborés, ici ou là, et connurent des fortunes diverses.
Le fondement moral des activités de recherche sur l’homme n’a, en fait, été affirmé que récemment. C’est le rapport américain Belmont (1978) qui a fait état de trois grands principes : le respect de la personne, la bienfaisance et la justice.
- Le respect de la personne, quel que soit le type d’expérimentation médicale et son lieu, exige le consentement éclairé du sujet de l’expérience. Elle suppose que le malade ou la personne testée est un être de raison capable de décider par lui-même ou pour lui-même, donc en mesure d’analyser les informations que le médecin sera obligé de lui communiquer.
- La bienfaisance est l’évaluation par le chercheur du rapport entre les bénéfices espérés et les risques possibles de l’expérimentation. Il n’y a pas de recherche pour le simple plaisir de celui qui l’entreprend ou la conduit.
- La justice interdit les choix discriminatoires : les personnes en situation de précarité et les groupes dits vulnérables doivent être protégés.
Ces grands principes consacrent trois mondes : le spirituel (en faisant appel à la conscience et à l’avis de chacun), le scientifique (par l’expertise et l’analyse du rapport gain contre danger) et le politique (le devoir de protection des plus faibles et des plus démunis).
Les principes expérimentaux.
Avant de pouvoir être mis à la disposition des prescripteurs et des malades, les innovations thérapeutiques doivent être longuement testés, y compris sur l’homme, sans avoir au départ (et pour cause) toutes les garanties nécessaires de sécurité et d’efficacité. C’est la période dite des essais cliniques, en temps réel, de personne à personne. Les essais cliniques doivent être démocratiques et scientifiques ; autrement dit, ils doivent être rigoureux et se dérouler en plusieurs phases.
Il convient de vérifier l’innocuité du traitement. Cette première phase sur l’homme fait suite à des essais sur animaux et se fonde sur des connaissances issues de la recherche fondamentale et à des études réalisées sur des échantillons humains.
Cette première étape fait appel à quelques dizaines de volontaires en bonne santé. Dans un deuxième temps, on cherche à mesurer l’efficacité. Quelques dizaines de personnes atteintes de la maladie à traiter reçoivent les doses efficaces pendant un temps plus long.
C’est pendant cette deuxième phase des essais qu’est introduite l’idée de comparaison et que sont constitués des groupes témoins. Selon la méthodologie employée, certains vont recevoir un placebo.
Le placebo/I>
C’est un produit sans activité thérapeutique, sans principe actif, que rien ne distingue extérieurement de la molécule active testée. L’effet placebo est observé parfois sur certains malades dont on peut voir l’état s’améliorer. La science reste perplexe et ne peut encore expliquer certaines rémissions ; aucune théorie n’a encore fait l’unanimité. L’utilisation du placebo vise à distinguer le rationnel scientifique mesurable de la composante psychologique d’une maladie et d’un traitement.
Les essais contrôlés
Dans la méthode du « simple aveugle », le médecin connaît les molécules efficaces. Le malade, lui, ne sait pas qu’il peut recevoir un placebo. La composante psychologique du malade est évacuée, deux groupes identiques étant constitués au hasard : l’un recevant le nouveau médicament, l’autre le placebo.
Cette procédure n’élimine pas l’influence psychologique de l’équipe clinique, bien au contraire. C’est en effet elle qui constitue les deux groupes, qui discrimine. Cette méthode trouve ses propres limites quant la composante psychologique du médecin risque de fausser la mesure objective des effets espérés d’une molécule. C’est le cas lorsque le médecin choisit ses volontaires en fonction du résultat qu’il espère.
La méthode du « double aveugle » s’impose alors. Dans ce cas, le malade et l’expérimentateur ignorent la qualité de la molécule administrée à chaque volontaire. L’avantage évident réside dans l’objectivité réelle de la procédure. Le défaut de cette méthode est la non connaissance par le médecin prescripteur du public qui aura reçu la molécule efficace, ce qui rend difficile toute mesure.
En dépit des difficultés (et des résistances) à appréhender conceptuellement et scientifiquement le placebo, de très nombreuses données statistiques convergent pour souligner l’apparition de l’effet placebo dès les premières phases d’un essai clinique. J. D. LEVINE a montré que, dans certains cas, il correspond à des modifications identifiables du fonctionnement de l’organisme (effet placebo analgésique symétrique d’une production d’endorphine par l’organisme).
Au début d’une phase III, le principe du « double aveugle » peut se décliner sous formes de l’analyse séquentielle. Dans ce cas les malades reçoivent successivement le principe actif et le placebo. De grandes séries de malades sont testés et cela aboutit finalement à l’autorisation de mise sur le marché (AMM).
Il ne reste plus alors qu’à tester « grandeur nature ». Cette dernière étape, phase IV, est aussi importante que les précédentes car elle permet de compenser la durée trop courte des essais précédents et de déterminer le plus complètement possible tous les effets secondaires et de préciser les indications.
Parallèlement à l’expertise scientifique, se posent un certain nombre de questions éthiques, d’abord celle de la sécurité du malade. Puisque se sont des innovations thérapeutiques ou diagnostiques, non encore testées sur l’homme, il est difficile voire impossible d’anticiper toutes les conséquences d’un protocole expérimental. La sécurité du volontaire a été affirmée par les déclarations de Nuremberg, Helsinki et plus récemment Tokyo (1977). C’est aussi dans cet esprit que fut votée et appliquée en France la loi HURIET.
Même si un maximum de précautions sont prises, il n’en demeure pas moins vrai que deux problèmes éthiques subsistent aujourd’hui : celui du rapport bénéfices / risques ; celui créé par l’existence de groupes placebo constitués sans le consentement direct des malades testés.
Depuis plus d’un demi siècle, les essais cliniques ont montré qu’ils étaient non seulement utiles mais nécessaires. Même si elle est quotidiennement bafouée, l’éthique a imposé peu à peu l’idée que l’homme est autonome et responsable, capable d’agir par et pour lui-même. Les malades sont des acteurs à part entière de l’acte thérapeutique. A moins de vouloir perpétuer le « paternalisme » médical, il est possible d’expliquer le principe du « double aveugle » et de demander le consentement du volontaire.
Cela ne fera que renforcer le colloque singulier entre le médecin et le malade, ce qu’avait déjà compris Hippocrate en posant, dans Des Epidémies, la règle des trois M : en ce qui concerne la santé, il y a trois choses à considérer le médecin, la maladie et le malade.
Rôle des associations
Le fait de rentrer dans le processus de la recherche, les obligent à « apprendre à lire pour comprendre » les protocoles et à « ne pas tenir automatiquement pour vrai ce qui est dit ».
Aujourd’hui, les personnes recrutées pour des essais cliniques ne le sont plus à leur insu : ce sont des personnes consentantes, recevant une information préalable, signant un formulaire de consentement, ayant le droit d’interrompre leur participation à tout moment.
Ces nouvelles règles font des acteurs passifs de véritables sujets de droits, autonomes et responsables de leur choix.
Compte rendu proposé par Jean GRAVELEAU
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Ce que représente la lecture peut sans doute être un vaste sujet à débattre mais sur ce site, je n’en vois pas l’intérêt- bien amicalement — E.Six
Commentaire by Six Emillienne — 15 novembre 2007 #
je veux bien poser une qusetion.que presente la lecture pour nous,est ce que vraiment la lecture reste une moyen pour s’instruire ?
Commentaire by emie — 12 novembre 2007 #
Je comprends mal les enjeux entre le comité d’éthique et nous en tant qu’infirmières de recherche clinique. Il existe présentement des délais de plus de 6 mois entre la soumission et l’acceptation.
Commentaire by Christine Bergeron — 24 octobre 2007 #