Ne pas être qu'un "patient" ...

Témoignage : Vivre avec un proche malade sans culpabiliser

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°42 – septembre 2010 

Quand un parent, un ami tombe malade, nous ne trou­vons pas toujours les mots ni les gestes, hési­tant entre le trop et le pas assez. D’où vient ce senti­ment de culpa­bi­lité qui, souvent, nous enva­hit ? Et comment le surmonter ?

Dans une rela­tion d’aide, il suffit souvent de rester dans le lien qui a toujours existé, à l’écoute des attentes.

Jacques n’ose plus télé­pho­ner à son meilleur ami qui est en chimio­thé­ra­pie, para­lysé par la peur et par la culpa­bi­lité d’être en bonne santé. Olivia est persua­dée que son départ de la maison pour suivre des études à Paris a déclen­ché l’ano­rexie de sa petite sœur Salomé. Raphaël pense être un monstre parce qu’il ne désire plus sa femme, muti­lée par un cancer du sein. 

La confron­ta­tion avec la mala­die d’un proche nous réduit à une certaine impuis­sance et, parfois, à l’auto-​accusation. Nous aime­rions nous compor­ter en héros, mais nous nous heur­tons à nos propres limites. « Certains, comme Jacques, vont se tenir à distance, préfé­rant la fuite et peut-​être le confort person­nel pour se proté­ger, explique Chris­tophe Fauré, psychiatre spécia­lisé dans l’ac­com­pa­gne­ment des malades et de leur famille. D’autres fonce­ront tête bais­sée, s’in­ves­tis­sant corps et âme, jusqu’à sacri­fier leur vie de famille et s’in­ter­dire tout droit au bonheur. »

Comprendre les ressorts de sa culpabilité
« Il faut du temps pour trou­ver la bonne place auprès d’un malade, il est rare qu’elle s’im­pose d’emblée », constate isabelle Moley-​Massol(1)), méde­cin, psycha­na­lyste et psycho-​oncologue à l’hô­pi­tal Cochin, à Paris. Résul­tat, nous nous sentons coupable de tout : d’être en bonne santé, de ne pas être présent, de prendre la fuite… Et de ne pas savoir comment réagir : faire comme si de rien n’était, pour ne pas en rajou­ter, au risque de passer pour un égoïste ? Ou chan­ger la nature de notre rela­tion parce que l’autre est malade ? 

« Ce ques­tion­ne­ment renvoie au type de lien qui exis­tait avant la mala­die », analyse Isabelle Moley-​Massol. « Mais, plus impor­tant, la mala­die de l’autre nous renvoie à la peur incons­ciente de notre propre fin. Tout est miroir, tout se réflé­chit. Nous voudrions proté­ger notre ami malade, tout en nous préser­vant. II y a confu­sion de senti­ments forcé­ment ambi­va­lents, entre amour et haine, protec­tion et agres­si­vité envers ce proche que l’on voudrait aider, mais qui nous blesse aussi parfois en utili­sant sa souf­france pour alimen­ter notre culpa­bi­lité. Le risque étant de se perdre, de perdre ses repères, ses croyances, ses certi­tudes ».

« Des pensées de type rumi­na­tion peuvent satu­rer la conscience, créant un état de chaos peu propice à la réflexion », renché­rit la sophro­logue Laurence Roux-​Fouillet. « Il en résulte souvent un épui­se­ment psychique, proche de la dépres­sion ». Crises d’an­goisse, bouli­mie, spas­mo­phi­lie, problèmes de peau peuvent appa­raître alors. Les coupables ? « Les fautes imagi­naires et les respon­sa­bi­li­tés exagé­rées dont nous nous char­geons trop souvent », estime Yves-​Alexandre Thal­mann, psychologue. 

Si, dans un premier temps, accueillir la culpa­bi­lité et la mettre en mots est néces­saire, cela reste insuf­fi­sant pour s’en débar­ras­ser. « Chacun doit comprendre qu’il ne peut en aucun cas être respon­sable du malheur des autres », ajoute le psycho­logue. « Décou­vrir que notre culpa­bi­lité et le pouvoir que nous croyons avoir sur autrui sont les deux faces d’une même réalité est le premier pas sur le chemin du mieux-​être. Pour cesser de se culpa­bi­li­ser, il faut d’abord renon­cer à sa toute-​puissance et cerner avec préci­sion les limites de sa responsabilité. »

Plus facile à dire qu’à faire ? Sans doute, mais mieux vaut ne pas trop tarder, en se faisant aider si nécessaire.

Réus­sir à poser des limites 
« La culpa­bi­lité peut deve­nir la chose la plus toxique qui soit », remarque Chris­tophe Fauré, « car elle nous empêche d’être présent à l’autre. Que nous dit-​elle ? De qui nous parle-​t-​elle, si ce n’est de nous-​même ? À un moment, il y a une déci­sion à prendre dans son cœur : où dois-​je mettre la prio­rité ? Dans la rela­tion avec ce proche qui souffre ou dans mes états d’âme ? Ce qui sous-​entend : ce proche, est-​ce que je l’aime vrai­ment ? »

Pour Isabelle Moley-​Massol, « la culpa­bi­lité peut ronger, et fina­le­ment créer une distance entre le proche et le malade ». Bien souvent, ce dernier n’at­tend pas des choses extra­or­di­naires, simple­ment de rester dans le lien qui a toujours existé. Il s’agit alors d’être dans l’empathie, à l’écoute de ses attentes. Certains voudront évoquer leur mala­die, d’autres préfé­re­ront parler d’autre chose. L’im­por­tant est de ne pas anti­ci­per ce que l’on croit bon ou mauvais pour lui, en sachant poser des limites pour ne pas s’épui­ser. Laurence Roux-​Fouillet propose ainsi de « passer des mini­con­trats pour allé­ger sa culpa­bi­lité : rempla­cer cette souf­france par une action, ou compen­ser sans tomber dans le sacri­fice ».

Accep­ter d’y trou­ver son compte

« En choi­sis­sant d’ac­com­pa­gner l’autre, il est préfé­rable de garder à l’es­prit que nous nous enga­geons dans la durée », insiste Fran­çoise Bessis, psychiatre et psycha­na­lyste au Centre Pierre-​Cazenave (psychisme et cancer), à Paris. Pour des mois, voire des années. Ce qui ne se fera pas sans mal. « Afin de faire barrage à la lassi­tude, à l’épui­se­ment, voire au ‘burn out’, l’ai­dant doit y trou­ver son compte » », recommande-​t-​elle. C’est ce qu’a réussi Agnès, qui a « retrouvé » sa mère, atteinte d’un cancer, en l’ac­com­pa­gnant jusqu’au bout. En parta­geant parfois juste un silence ou un regard, elles ont réparé des années de malen­ten­dus. Aujourd’­hui, malgré son chagrin, Agnès a trouvé la paix. Un béné­fice secon­daire, qui, pour Chris­tophe Fauré, renvoie à la notion boud­dhiste des deux bien­faits : « Pour qu’une rela­tion soit juste, il faut que le bien fait à la personne aidée devienne notre propre bien­fait. Ce qui suppose qu’il doit y avoir, pour la personne aidante, une grati­fi­ca­tion. C’est ce qui permet­tra à la rela­tion d’aide d’être saine. Sinon, on est dans la logique du sacri­fice ». Sacri­fice qui est « géné­ra­teur d’agres­si­vité, de haine, de violence parfois envers le malade, et qui mène droit à l’échec », alerte Fran­çoise Bessis.

(1)Isabelle Moley-​Massol, auteure du Malade, la Mala­die et les Proches (L’Ar­chi­pel, 2009).
Des Livres :
Vivre ensemble la mala­die d’un proche de Chris­tophe Fauré (Albin Michel, 2002)
Au diable la culpa­bi­lité ! d’Yves-Alexandre Thal­mann (Jouvence Editions, 2005)

Céline DUFRANC D’après le « Télé­gramme » du 28 Avril 2010.

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