Plus de clairvoyance pour la recherche causale
Publié le 14 octobre 2011 à 14:55Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°46 – octobre 2011
Par le professeur Dr. Peter JENNER
Director du Neurodegenerative diseases Research Centre of School Of Health and Biomedical Sciences, King’s College, Londres
Traditionnellement, la maladie de Parkinson est associée à la dégénérescence des neurones dopaminergiques dans la substantia nigra et à la perte de dopamine striatale qui en résulte, facteur déclenchant des symptômes moteurs. Un point de vue qui explique pourquoi depuis près de quarante ans, la substitution de la dopamine manquante par l’administration de levodopa ou d’agonistes dopaminergiques constitue la clé de voûte du traitement antiparkinsonien. Un point de vue parfait dont la véracité n’est pas contestée, mais qui, comme nous le savons aujourd’hui, est nettement insuffisant.
En réalité, la maladie de Parkinson est définie par une multitude d’altérations pathologiques – dans le cerveau comme dans les organes périphériques – et par de nombreuses anomalies biochimiques cérébrales qui résultent des altérations pathologiques primaires ou des adaptations consécutives à la perte de dopamine.
Tout cela modifie également l’équilibre de différents autres systèmes neurotransmetteurs, qui à leur tour contribuent au déclenchement des symptômes moteurs ou non-moteurs du Parkinson. S’ajoutent à cela les fluctuations motrices (phénomène de « wearing-off » et phases « on/off ») et les complications motrices qui accompagnent le traitement médicamenteux et la progression de la maladie.
La multiplicité des facteurs cités et leur influence contradictoire explique la complexité de la maladie de Parkinson et le nombre de difficultés que doivent surmonter les médecins quand ils essaient de contrôler au mieux les différents aspects du tableau clinique très individuel du Parkinson.
Tout inconvénient manifeste n’en est pas un.
Nombre de ceux qui ont commencé la lecture de cet article ne souhaitent pas poursuivre au-delà de ce point. L’espoir de pouvoir isoler et analyser les relations très complexes décrites précédemment semble trop faible pour permettre une compréhension détaillée de la situation. Cependant, si abstrus que cela semble, c’est précisément de la complexité du Parkinson que pourrait découler une nouvelle approche pour le futur traitement médicamenteux d’une maladie qui est davantage un syndrome tout entier.
Ci-après, je souhaite notamment développer la conscience du fait que les processus de La maladie de Parkinson dépassent largement une simple baisse du taux de dopamine striatale et que les traitements futurs devraient suivre une approche « intégrale » afin d’obtenir une normalisation globale du déséquilibre des transmetteurs occasionné par la maladie de Parkinson.
La pathologie du Parkinson
Quiconque sort de l’arène dopamine pour la première fois découvre rapidement l’ampleur et la complexité du tableau pathologique du Parkinson. La perte des neurones n’a pas lieu seulement dans le système dopaminergique. Elle concerne également différents systèmes monoaminergiques, parmi lesquels le locus coeruleus et les noyaux du raphé. Elle conduit à une baisse de la concentration en noradrénaline et en sérotonine (5‑HT) (deux substances transmettrices comme la dopamine) dans différentes zones du cerveau.
Par ailleurs, les dites projections cholinergiques corticales dégénèrent dans le prosencéphale. Il s’agit d’altérations pathologiques bien documentées, clairement identifiable en tant que Parkinson par la présence de corps de Lewy. Les caractéristiques pathologiques dans les noyaux olfactifs, dans le noyau dorsal du nerf vague et du noyau pédonculopontin génèrent des altérations de l’innervation dans le tronc cérébral, le mésencéphale et le prosencéphale par les neurotransmetteurs acétylcholine, glutamate et GABA (acide gamma-aminobutyrique).
Une telle analyse détaillée des pertes de neurones dans le cerveau montre clairement qu’en cas de Parkinson, les neurones disparaissent dans des régions très différentes du cerveau – c’est la raison pour laquelle différents systèmes de transmission sont atteint.
Tout ceci indique que la maladie de Parkinson est caractérisée par des altérations pathologiques complexes qui ne concernent pas uniquement la dopamine, mais bien plusieurs neurotransmetteurs.
Malheureusement, personne ne sait très précisément comment tout cela mène aux symptômes du Parkinson. Cependant, étant donné que la maladie de Parkinson comporte des symptômes moteurs et non-moteurs qui réagissent très mal, voire pas du tout à la médication dopaminergique, il est fort possible que ces symptômes résistants à la thérapie émanent de la perte de neurones non-dopaminergiques en dehors des ganglions de la base – et soient donc imputables à un déséquilibre dans un autre système de transmission.
Cette hypothèse semble d’autant plus probable que l’on sait aujourd’hui que d’autres neurotransmetteurs – tels que la noradrénaline, la sérotonine (5‑HT) et l’acétylcholine – interagissent de manière complexe avec les neurones dopaminergiques et jouent par conséquent, selon toute vraisemblance, un rôle dans les aspects moteurs de la maladie de Parkinson. En outre, le lien entre les caractéristiques pathologiques dans les régions non-dopaminergiques du cerveau et la progression lente de la maladie, pourrait être d’une importance capitale. A cet égard, nous sommes à présent contraints de penser de manière non conventionnelle.
La maladie se déclare-t-elle tout à fait ailleurs ?
Jusqu’à présent, la recherche des causes du Parkinson mettait l’accent sur la substance noire et la perte de neurones dopaminergiques. Une approche qui pourrait se révéler fausse. En effet, certaines observations indiquent que la maladie n’apparaît ni dans la substance noire, ni dans les ganglions de la base !
Au contraire, on suppose qu’il s’agit plutôt d’une pathologie systémique qui trouve son origine dans les organes périphériques, chemine via le système nerveux central dans le tronc cérébral, s’étend dans le cerveau et seulement ensuite atteint les neurones dopaminergiques de la substance noire avant que les neurones cholinergiques qui alimentent le prosencéphale soient détruits.
Certes, ce scénario est controversé – mais le concept de maladie progressive correspond parfaitement bien aux nombreuses altérations pathologiques et biochimiques et au fait que les symptômes moteurs n’apparaissent que relativement tard dans l’évolution de la maladie et qu’ils sont précédés par toute une série d’aspects non-moteurs tels que la constipation, la perte d’odorat, les jambes sans repos, les troubles du comportement dans le sommeil paradoxal, les dépressions et les états anxieux.
Altérations adaptatives
Pour en revenir à la perte primaire de neurones dopaminergiques dans la substance noire, il s’avère que des altérations adaptatives dans les processus biochimiques apparaissent d’une part dans les réseaux des ganglions de la base, et d’autre part dans les boucles qui commandent les mouvements volontaires via le thalamus, le cortex-moteur et en retour vers les ganglions de la base. En d’autres termes : si l’alimentation en dopamine des ganglions de la base vis la substance noir est perturbée, l’activité des neurones qui utilisent les autres transmetteurs que la dopamine (par ex. : l’acétylcholine, le glutamate ou le GABA) est obligatoirement modifiée. Et ce parce que les neurones des ganglions de la base sont agencés dans des chaînes alignées ou parallèles, qui traitent les informations motrices, sensorielles ou cognitives et permettent les mouvements contrôlés par le biais de boucles avant et arrière.
Ou plus simplement : en cas de Parkinson, la perte de dopamine modifie parallèlement l’activité électrique des neurones, au-delà de la voie dopaminergique endommagée ! La libération des neurotransmetteurs qui acheminent les signaux entre les neurones successifs de la chaîne est également transformée. Ainsi, la perte de dopamine dans les ganglions de la base génère également des modifications dans la transmission du signal par l’acétylcholine, le glutamate et le GABA. Cela explique pourquoi des médicaments, tel l’Amantadine, antagoniste des récepteurs NMDA, et le benzhexol, antagoniste de la muscarine, qui agissent sur d’autres systèmes de transmission que le système dopaminergique, peuvent influencer les symptômes du Parkinson. L’action positive d’une pallidotomie et de la stimulation cérébrale profonde s’explique.
Que signifie tout cela ?
La substitution traditionnelle de la dopamine par la L‑dopa permet sans aucun doute une amélioration drastique des symptômes moteurs du Parkinson et, dans une certaine mesure, des problèmes non-moteurs tels que les troubles du sommeil, les altérations de la perception sensorielle et les dépressions.
De grands défis doivent encore être relevés lors du traitement de toute la gamme des composantes pathologiques motrices (marche, équilibre) et – notamment – de nombreux aspects non-moteurs (capacités cognitives, langage, comportement obsessionnels, douleurs), et des complications motrices connues (dyskinésies, freezing) et des fluctuations. Pour un meilleur contrôle thérapeutique, nous devons toutefois regarder et penser plus loin et créer de nouvelles conditions dans lesquelles les altérations neuronales à la fois dopaminergiques et non-dopaminergiques peuvent être abordées – et ce à l’intérieur comme à l’extérieur des ganglions de la base. En matière de traitement médicamenteux, nous devons donc adopter une approche intégrative, globale.
Il est éventuellement envisageable de cibler individuellement les systèmes non-dopaminergiques, dont on sait qu’ils sont touchés par la maladie de Parkinson. Des tentatives sont déjà conduites actuellement, avec des médicaments qui agissent sur les récepteurs de la sérotonine (sarizotan), de la noradrénaline (fipamezole) et de l’adénosine (istradéfylline, preladenant). Cependant, à ce jour ces substances ne constituent qu’un complément au traitement dopaminergique. Les patients doivent donc prendre encore plus de pilules et ces dernières n’apportent jusqu’à présent que peu de progrès.
A la recherche de « la » superpilule
Le plus grand espoir reposerait sur les médicaments multifonctionnels, qui combinent plusieurs effets pharmacologiques, remplacent la dopamine tout en stabilisant et en normalisant les anomalies des transmetteurs sur lesquelles reposent de nombreux symptômes de la maladie de Parkinson.
Toutefois, compte tenu de la complexité des liens de causalité, il est plus difficile de savoir comment une telle action intégrale doit être visée. La transmission de l’activité électrique des neurones pourrait être une possibilité. Elle est définie par le travail des dits canaux ioniques, qui régulent le flux du calcium, du potassium et du sodium vers les neurones et en dehors des neurones. Ce mécanisme général, qui est valable pour de nombreux types de neurones différents, pourrait offrir la future génération de molécule pour le traitement de Parkinson.
Des expériences prouvent le potentiel de tels concepts futuristes. Elles démontrent que les modifications de l’activité des canaux sodiques dans le sous-thalamus peuvent provoquer des améliorations des composantes cliniques de Parkinson qui ne peuvent aujourd’hui être contrôlées que par des interventions chirurgicales. Une autre application pourrait toutefois en résulter : une normalisation de la fonction neuronale dans l’ensemble du cerveau.
Malheureusement de tels médicaments restent jusqu’à présent un pur concept – et sont loin d’être disponibles. Il ne fait toutefois aucun doute que considérer le cerveau dans sa globalité fait davantage avancer la recherche que de se concentrer sur le seul système dopaminergique. Le Parkinson est beaucoup trop complexe pour cela.
Source : EPDA Plus, n°14 2010
Dans la revue Parkinson Suisse N°102 de juillet 2011
Lu par Jean GRAVELEAU
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En bref, pauvres de nous ?
Pour positiver, ce qui m’a paru vital après un tel article, Serguey Brin, cofondateur de Google, met beaucoup d’argent et d’énergie dans la recherche contre Parkinson, en émettant l’hypothèse qu’il faut chercher tous azimuts.
Compte tenu de l’inventivité qui a donné naissance à Google, gageons que l’adoption d’un plan de recherches basé sur la même philosophie va forcément déboucher sur des découvertes importantes !
Commentaire by Marie-Paule Subarroque — 16 octobre 2011 #