Ne pas être qu'un "patient" ...

Le succès thérapeutique est aussi un état d’esprit

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°56

Les méde­cins expé­ri­men­tés le savent : la dispo­si­tion person­nelle, la confiance dans l’efficacité des médi­ca­ments et des mesures pres­crites, ainsi que l’interaction harmo­nieuse entre le méde­cin et le patient sont déci­sives pour le succès de tout traitement.

Les cher­cheurs sur le cerveau prouvent scien­ti­fi­que­ment ce phénomène.

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans les cercles de neuro­logues (mais pas seule­ment) : « Les place­bos sont aussi effi­caces que les médi­ca­ments dopa­mi­ner­giques chez les patients parkin­so­niens ! » Tel était le titre du célèbre maga­zine spécia­lisé Science en 2001. Dans cette publi­ca­tion, les cher­cheurs de l’équipe de Raül de la Fuente-​Fernandez, Univer­sité de Colom­bie britan­nique à Vancou­ver, ont présen­tés une décou­verte éton­nante : ils ont admi­nis­trés des place­bos (du latin : « je plai­rai ») à des patients parkin­so­niens et les symp­tômes des patients se sont rapi­de­ment amélio­rés, aussi forte­ment qu’après la prise d’une dose de médi­ca­ment dopa­mi­ner­gique. Un fait qui en soit n’a rien de sensa­tion­nel : dans l’antiquité, les chamanes connais­saient déjà les effets posi­tifs des place­bos ! La méde­cine occi­den­tale moderne en tient compte égale­ment. Toute­fois, les cher­cheurs cana­diens ont réus­sis pour la première fois à décryp­ter l’effet placebo. 

En effet, dans le cadre d’essais, ils ont scanné le cerveau des sujets à l’aide de la tech­nique de tomo­gra­phie par émis­sions de posi­tons (TEP Scan). Ils ont observé que peu après l’administration des place­bos, une acti­va­tion de la substance noire se produit et inten­si­fie la libé­ra­tion de dopa­mine. De toute évidence, les place­bos ont non seule­ment un effet sur la psyché, à savoir le ressenti subjec­tif, mais égale­ment sur le plan physio­lo­gique, car ils influencent les proces­sus biochi­miques dans l’organisme. Pour résu­mer : les place­bos agissent bien qu’étant dépour­vus de substances actives, de la même manière que les « vrais » médicaments.

Depuis, les groupes de cher­cheurs du monde entier se penchent sur l’effet placebo – avec des résul­tats parfois surpre­nants. Ainsi, au mois de mai 2004, le cher­cheur sur le cerveau et méde­cin turi­nois Fabri­zio Bene­detti a fait fureur avec une publi­ca­tion dans le maga­zine spécia­lisé Nature Neuros­cience (en ligne). Il a injecté de la solu­tion saline dans le cerveau de patients parkin­so­niens – en leur assu­rant qu’il s’agissait d’un anti­par­kin­so­nien. Après l’injection, la mobi­lité et les trem­ble­ments des patients se sont nette­ment amélio­rés. En effet, la simple attente posi­tive de rece­voir un médi­ca­ment effi­cace suffit au cerveau pour libé­rer davan­tage de dopa­mine – qui compte parmi les hormones du bonheur.

« Sans substance active » n’est pas syno­nyme d’« inefficace ». 

Il est devenu indis­cu­table que les place­bos sont bien davan­tage que des médi­ca­ments « vides ». Ils repré­sentent une méde­cine « mentale », compo­sée de commu­ni­ca­tions et d’actes suscep­tibles d’attiser suffi­sam­ment l’expectative posi­tive d’un patient pour déclen­cher une réac­tion physio­lo­gique souhai­tée dans le cerveau. 

Les cher­cheurs de Düssel­dorf autour du neuro­logue Lars Wojte­cki ont même démon­tré récem­ment que c’était possible sans pilule ni injec­tion (Deut­sh­land­funk, août 2013). Ils ont examiné chez des patients qui avaient subis depuis un certain temps une stimu­la­tion céré­brale profonde (SCP) si leur mobi­lité pouvait être amélio­rée ou aggra­vée simple­ment par la foi en son effi­ca­cité. Pour ce faire, les cher­cheurs ont déclen­ché des attentes clai­re­ment défi­nies unique­ment par des mots : ils ont annoncé (avec des textes norma­li­sés) aux sujets qu’ils allaient modi­fier les para­mètres de stimu­la­tion de la SCP pour influen­cer posi­ti­ve­ment ou néga­ti­ve­ment leur motri­cité. Par exemple : « Nous modi­fions la stimu­la­tion pour vous permettre de mieux bouger les mains. » En réalité, la stimu­la­tion n’était pas chan­gée. Résul­tat de l’essai : quand les cher­cheurs ont suscité une expec­ta­tive posi­tive, la mobi­lité s’est amélio­rée, notam­ment lors de la rota­tion des mains. En cas d’attente néga­tive, la mobi­lité s’aggravait.

Ils ont ainsi pu démon­trer que, comme l’administration de pilules ou d’injections factices, une sugges­tion pure­ment verbale suffit à créer une attente posi­tive si forte qu’un effet placebo appa­raît. Mais ce n’est pas tout : lors des essais des cher­cheurs alle­mands, les effets secon­daires typiques de la SCP, par exemple l’aisance verbale légè­re­ment moins fluide, se sont renfor­cés. Plus la mobi­lité des patients était bonne, plus les mots leur venaient lente­ment à la bouche. Les méde­cins n’avaient pas du tout informé les patients de ces possibles effets secon­daires de la SCP au préalable. 

Les cher­cheurs ont imputé ces effets épatants à un proces­sus incons­cient, vrai­sem­bla­ble­ment de condi­tion­ne­ment. En effet, les patients avaient déjà été stimu­lés pendant quelques mois avant les essais et s’étaient donc (incons­ciem­ment) habi­tués à perdre légè­re­ment leur faculté du langage pendant les phases de très bonne mobi­lité. Dans l’expectative posi­tive susci­tée par les cher­cheurs, ils ont, de manière incons­ciente égale­ment, pu produire cet effet indésirable.

Ami ou ennemi, l’esprit est puissant. 
James Sulzer et Roger Gasser, tous deux ingé­nieurs dans le labo­ra­toire des sciences de la réadap­ta­tion de l’ETH de Zurich, ont fait des obser­va­tions simi­laires (Hori­zonte, juin 2013). Ils ont réussi à faire augmen­ter ou dimi­nuer volon­tai­re­ment l’activité nerveuse de la substance noire par des sujets sains. L’astuce : le « neuro­feed­back ». Ce terme désigne des essais durant lesquels les sujets reçoivent un retour direct sur leur acti­vité céré­brale, qui est mesu­rée toutes les deux secondes au moyen de l’imagerie par réso­nance magné­tique fonc­tion­nelle. MM. Sulzer et Gasser ont demandé aux sujets de penser pendant 20 secondes à quelque chose de neutre, puis pendant 20 secondes à quelque chose de posi­tif comme un bon repas, une expé­rience roman­tique ou à des plai­sirs sexuels. Ce faisant, ils voyaient monter une balle jaune sur un écran à mesure que du sang oxygéné était mesuré dans la région de la substance noire – en d’autre terme, plus elle était active. L’objectif était de faire grim­per la balle le plus haut possible. Et, en effet, avec un peu d’entraînement, les sujets ont bel et bien réussi, bien que briè­ve­ment, à faire progres­ser la balle vers le haut par la seule force de repré­sen­ta­tions « heureuses ».

Toutes les études de recherche sur le cerveau prouvent à quel point notre esprit est puis­sant ! Il est ainsi évident que notre dispo­si­tion interne peut égale­ment influen­cer le succès d’un trai­te­ment médi­ca­men­teux à propre­ment parler – et ce en bien comme en mal.

Si un patient est favo­rable à la théra­pie pres­crite par le méde­cin, s’il croit en sa perti­nence et en son effi­ca­cité, le succès théra­peu­tique sera rela­ti­ve­ment grand. En revanche, s’il doute des bien­faits du trai­te­ment, ce dernier aura très proba­ble­ment des effets néga­tifs. Et si le patient a très peur des éven­tuels effets secon­daires, la proba­bi­lité qu’ils se mani­festent augmente consi­dé­ra­ble­ment. On quali­fie cet effet de nocebo (en latin « je nuirai »), car il agit négativement. 

Grands espoirs, effi­ca­cité maximale
L’intensité de l’effet placebo ou nocebo est direc­te­ment propor­tion­nel à l’intensité de l’expectative susci­tée aupa­ra­vant. C’est ce qu’ont pu démon­trer des cher­cheurs autour de Jon Stoessl, univer­sité de la Colom­bie Britan­nique à Vancou­ver, à l’aide d’une stra­té­gie d’essais extrê­me­ment astu­cieuse (Archives of Gene­ral Psychia­try, vol. 67, page 857, 2010) : ils ont réparti des patients souf­frant d’un Parkin­son modéré dans quatre groupes. Ensuite, ils leur ont dit que chaque groupe allait rece­voir avec une proba­bi­lité de 25, 50, 75 ou 100% la L‑Dopa inter­rom­pue quelque temps aupa­ra­vant – et non un placebo. Cepen­dant tous les patients ont reçu une substance inactive.

Résul­tat : chez les patients qui s’attendaient à rece­voir de nouveau leur trai­te­ment habi­tuel avec une proba­bi­lité de 25 ou de 50%, la motri­cité s’est amélio­rée faible­ment à modé­ré­ment. Dans le groupe des 75% en revanche, les capa­ci­tés motrices se sont forte­ment amélio­rées. Chez ces patients, la libé­ra­tion de dopa­mine la plus forte a été mesu­rée dans le mésencéphale.

Quant aux patients du groupe des 100%, ils n’ont pas du tout réagi. Contra­dic­tion ? Pas du tout ! En effet, on sait grâce à la recherche sur l’apprentissage que les attentes susci­tées sont les plus impor­tantes quand un succès est très probable, mais pas tout à fait certain. Si le succès est assuré, le résul­tat est déjà connu au préa­lable – et ne laisse place à aucune expectative. 

Quelles sont les réper­cus­sions pratiques ? 
Trans­po­sés dans le domaine des « vrais » médi­ca­ments, ces résul­tats de recherche impres­sion­nants signi­fient que plus les espoirs placés par un patient dans la théra­pie pres­crite sont grands, plus la proba­bi­lité qu’elle agisse effi­ca­ce­ment est élevée. Si tel est le cas, le patient jouit d’une meilleure qualité de vie. Et la confiance dans le trai­te­ment augmente. 

En clair, un méde­cin doit d’abord bien « vendre » le trai­te­ment à son patient – quand bien même son effi­ca­cité serait prou­vée sans aucun doute. Il est néces­saire qu’il prenne en tout premier lieu le temps d’aborder person­nel­le­ment chaque patient, de bien le connaître et de créer une atmo­sphère de confiance. Il peut, ensuite, par des ques­tions appro­fon­dies, décou­vrir ce qui lui pose le plus de problème actuel­le­ment (sa souf­france). Ce n’est qu’ainsi que les prio­ri­tés pour­ront être défi­nies correc­te­ment et que le méde­cin pourra – après consul­ta­tion et bien sûr toujours avec l’accord du patient – abor­der de manière ciblée et effi­cace les troubles les plus graves. Par ailleurs, le méde­cin doit toujours porter un regard posi­tif sur l’avenir – honnê­te­ment sans enjo­li­ver la réalité, mais sans oublier non plus les nombreuses petites choses qui rendent la vie belle malgré le Parkin­son. Les conseils sur les moyens auxi­liaires et les mesures qui peuvent aider au quoti­dien en font partie.

Méde­cins, théra­peutes et soignants doivent penser différemment. 
Pour autant, le méde­cin n’est pas le seul à avoir une influence déci­sive sur l’efficacité des mesures pres­crites de par sa person­na­lité, son approche person­nelle et sa commu­ni­ca­tion avec le patient. Les théra­peutes et les soignants doivent égale­ment se tenir au courant des décou­vertes neuros­cien­ti­fiques – afin de connaître les réper­cus­sions du Parkin­son sur la vie et le compor­te­ment des personnes concer­nées, et de mieux comprendre les patients. Ce n’est que lorsque les spécia­listes peuvent consi­dé­rer la situa­tion avec un bon angle d’observation (neuros­cien­ti­fique) qu’ils peuvent perce­voir et inter­pré­ter correc­te­ment les phéno­mènes visibles, mais égale­ment les signes cachés. En effet, une mala­die chro­nique comme le Parkin­son concerne toujours l’individu dans son inté­gra­lité, elle a des consé­quences physiques, mais aussi sociales et mentales. Les méde­cins, les soignants et les théra­peutes doivent donc penser et agir de manière holistique.

Impor­tant : le patient doit être impli­qué le plus acti­ve­ment possible dans tous les actes et toutes les mesures. De cette manière, il peut se confron­ter à son envi­ron­ne­ment – ce qui donne un sens à son quoti­dien et matière à son exis­tence. En effet, la forme physique est étroi­te­ment liée à la forme mentale – et toutes deux doivent être entraî­nées conjoin­te­ment. C’est ce que prouvent des études actuelles, dont les résul­tats viennent d’être présen­tés lors du congrès alle­mand des neuro­logues. Ainsi un entraî­ne­ment pure­ment céré­bral ou pure­ment physique permet unique­ment, avec l’âge, de conser­ver la cogni­tion. Si l’on combine les deux types d’entraînement, la perfor­mance intel­lec­tuelle peut être consi­dé­ra­ble­ment accrue. Autre­ment dit, une prome­nade dans la nature, avec de nombreuses impres­sions senso­rielles et sur un sol inégal, est plus effi­cace qu’un jogging dépourvu de sens sur un tapis de course.

De plus, toutes les mesures doivent être orien­tées vers le quoti­dien. En effet, quel est l’intérêt pour le patient qu’il soit sûr de lui sur le sol plat d’un gymnase, mais trébuche, voire chute régu­liè­re­ment quand il marche sur l’asphalte ? Heureu­se­ment, la réadap­ta­tion moderne en cas de Parkin­son a désor­mais à sa dispo­si­tion des outils promet­teurs. Paral­lè­le­ment au concept théra­peu­tique LSVT-​BIG, qui mise sur des mouve­ments grands et amples, ou à l’entraînement à la motri­cité d’après la kines­thé­sie, des idées astu­cieuses issues de l’ergothérapie sont inté­grées de plus en plus souvent aux mesures employées – avec pour objec­tif la plus grande auto­no­mie possible au quoti­dien. De plus, les trai­te­ments, qui visent une large auto­no­mie, aident les personnes concer­nées à jouir d’une grande qualité de vie. Et c’est préci­sé­ment ce but qui doit être central. 

Lu dans «  Parkin­son Suisse  » n°112 décembre 2013
Par Jean Grave­leau

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