Ne pas être qu'un "patient" ...

Un aimant géant pour percer les secrets du cerveau

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°57

Une première mondiale sera réali­sée en France, en 2015, à l’aide d’un aimant hors norme qui permet­tra d’ob­ser­ver plus fine­ment des amas de neurones chez l’homme

Comment les neurones s’activent-​ils quand on pense ? Quand on agit ? Quelles sont les premières traces de la mala­die d’Alz­hei­mer dans le cerveau ? Tels sont quelques-​uns des mystères qui demeurent. Ils pour­raient être percés à l’aide d’un instru­ment d’IRM (image­rie par réso­nance magné­tique) excep­tion­nel, qui sera livré en janvier 2015, au CEA (Commis­sa­riat à l’éner­gie atomique), à Saclay (Essonne). Ses perfor­mances seront uniques au monde. « J’ai eu l’idée dès l’an 2000 d’un aimant très puis­sant (11,7 Tesla) qui permet­trait d’amé­lio­rer la réso­lu­tion spatiale et tempo­relle des images. Quand en 2002, nous avions lancé un appel d’offres pour cet équi­pe­ment, seuls nos collègues du CEA, qui fabri­quaient les aimants LHC (Large Hadron Colli­der) du CERN, ont répondu présents. Fina­le­ment, le consortium
‘Iseult’ a été créé entre la France et l’Al­le­magne, avec d’un côté le CEA et l’en­tre­prise GUERBET, de l’autre, l’Uni­ver­sité de Fribourg et SIEMENS en 2005 », rappelle Denis Le Bihan, méde­cin, physi­cien et fonda­teur de l’ins­ti­tut NEUROSPIN en 2007, à Saclay.

Un aimant de 60 tonnes
« C’est un projet de longue haleine, sur lequel j’ai commencé à travailler il y a dix ans. Vers janvier 2015, nous devrions rece­voir l’ai­mant, assem­blé à Belfort dans l’usine d’AL­STOM, qui sera ache­miné par route et péniche par convoi spécial ». explique Pierre Védrine, respon­sable du projet Iseult au CEA. Sa dimen­sion est hors norme. L’ap­pa­reil pèsera au total 130 tonnes. « L’ai­mant seul, 60 tonnes, aura un diamètre interne d’un mètre et exté­rieur de 4 mètres. La bobine sera compo­sée de plus de 200 km de câbles supra­con­duc­teurs » ajoute le cher­cheur. Pour obte­nir un champ magné­tique intense, l’uti­li­sa­tion d’un supra­con­duc­teur est obli­ga­toire. Il s’agit d’un maté­riau, en niobium-​titane, qui conduit le courant sans aucune résis­tance quand il est refroidi près du zéro absolu, à 1,8° K (soit ‑271° C), avec de l’hé­lium liquide superfluide.

Le métal supra­con­duc­teur est enfermé dans une gaine de cuivre très pur, en forme de brins qui sont ensuite regrou­pés et assem­blés sous forme de bobine. Des opéra­tions très déli­cates sur le plan méca­nique et physique ; le champ magné­tique peut faire dispa­raître les proprié­tés supra­con­duc­trices du maté­riau. Alimen­tée par un courant stabi­lisé, la bobine pourra créer en son centre un champ magné­tique homo­gène sur l’en­semble de la taille du cerveau. Ce dernier sera étudié à très haute fréquence (500MHz) au moyen d’an­tennes spéciales. Il sera ainsi possible d’ai­man­ter les molé­cules d’eau conte­nues dans le cerveau, en agis­sant sur les protons des atomes hydro­gène. Un moyen d’ob­te­nir, à l’aide d’autres systèmes sophis­ti­qués, une préci­sion nette­ment amélio­rée de l’IIRM qui serait de l’ordre du dixième de mm, contre 1 mm pour un IRM utilisé en méde­cine et 0,4 mm pour un autre appa­reil expé­ri­men­tal à 7 testa, déjà installé à Saclay.

De 1000 à 5000 neurones
« La réso­lu­tion spatiale permet­tra de sépa­rer des amas de 1000 à 5000 neurones, précise Denis Le Bihan. Une minus­cule partie du cerveau. A la nais­sance, il contient 100 milliards de petites cellules grises. Et chacun peut se connec­ter avec 10 000 autres à la fin de l’ado­les­cence. Les neurones sont toute­fois arran­gés de manières diffé­rentes à la surface du cerveau, selon leur loca­li­sa­tion et la fonc­tion céré­brale qui y est asso­ciée. Une telle réso­lu­tion devrait permettre au méde­cin de véri­fier son hypo­thèse de l’exis­tence d’un « code neural ». Ce code serait, selon lui, lié à l’or­ga­ni­sa­tion tridi­men­sion­nelle des neurones. Une sorte d’écri­ture, comme les bases A, T, C et G qui composent l’ADN. Mais selon cette compa­rai­son, « nous n’en sommes qu’au moment où des chro­mo­somes ont été iden­ti­fiés dans le noyau des cellules ».

Pour iden­ti­fier ces amas et accé­der à ce « code neural », un moyen serait de mesu­rer préci­sé­ment les mouve­ments de l’eau, qui reflètent l’or­ga­ni­sa­tion des cellules du cortex céré­bral. Cela est rendu possible grâce à l’IRM de diffu­sion que Denis Le Bihan a mis au point dès 1985. Cette tech­nique est utili­sée dans le monde entier depuis près de vingt ans pour le diag­nos­tic en urgence des acci­dents vascu­laires céré­braux, car la diffu­sion de l’eau chute dans les neurones en train de mourir. L’IRM de diffu­sion pour­rait aussi montrer les chan­ge­ments surve­nant dans la forme des neurones quand ils s’activent.

Déjà, l’es­pa­gnol Santiago Ramon y Cajal, prix Nobel de méde­cine en 1906, le suppo­sait. Ce décou­vreur des neurones les décri­vait comme « les mysté­rieux papillons de l’âme dont les batte­ments d’ailes pour­raient peut-​être un jour révé­ler les secrets de la vie mentale ». Le nouvel équi­pe­ment sera utilisé pour « voir » ces mouve­ments plus préci­sé­ment. Avant son utili­sa­tion chez l’homme, le futur instru­ment devra d’abord être testé et approuvé par les orga­nismes de certi­fi­ca­tion (Agence Natio­nale de Sécu­rité du Médi­ca­ment, Comité consul­ta­tif d’éthique). Outre l’eau, le champ magné­tique « permet­tra aussi d’étu­dier d’autres éléments impor­tants (ions sodium, neuro­trans­met­teurs, etc.) pour nous aider à percer les mystères de notre cerveau » ajoute Denis Le Bihan.

Article de Marc Cherki, relevé dans le Figaro santé du 14/​03/​14 par F. Vignon

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