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Le glutamate : un nouvel acteur dans la mécanique de l’addiction

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°64
04.08.2015 – Commu­ni­qué de l’INSERM

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©Inserm/​Koulikoff, Frédérique/​Fotolia

Des cher­cheurs viennent d’identifier chez la souris, puis de confir­mer chez l’homme, un nouvel acteur régu­lant l’addiction. Le gluta­mate, un neuro­trans­met­teur [1], contri­bue à régu­ler la libé­ra­tion de dopa­mine dans le noyau accum­bens, l’une des struc­tures céré­brales du système de récom­pense. Plus préci­sé­ment, c’est un subtil équi­libre avec un autre neuro­trans­met­teur – l’acétylcholine – qui évite l’emballement du système et l’entrée dans l’addiction.

Cette décou­verte, qui augure de nouvelles pers­pec­tives théra­peu­tiques, a été réali­sée par des neuro­bio­lo­gistes du labo­ra­toire Neuros­ciences Paris-​Seine (Insti­tut de biolo­gie Paris-​Seine, CNRS/​Inserm/​UPMC) et de l’Institut univer­si­taire en santé mentale Douglas (McGill Univer­sity, Mont­réal, Canada), en asso­cia­tion avec des spécia­listes de géné­tique humaine à l’Institut Mondor de recherche biomé­di­cale (Inserm/​UPEC). Leurs travaux sont publiés le 4 août 2015 dans la revue Mole­cu­lar Psychia­try.

Lors de la prise de drogues, la quan­tité de dopa­mine augmente dans les struc­tures du cerveau formant le circuit de la récom­pense. L’intensité et la rapi­dité de la décharge de dopa­mine sont à la base du proces­sus qui va conduire au déve­lop­pe­ment de l’addiction. Les neurones choli­ner­giques du noyau accum­bens, l’un des centres de la récom­pense, sont connus pour régu­ler cette libé­ra­tion de dopamine.

Alors que la plupart des neurones ne libèrent qu’un seul neuro­trans­met­teur, l’équipe franco-​canadienne de Salah El Mesti­kawy a montré en 2002 que ces neurones utili­sant l’acétylcholine sont aussi capables d’utiliser le gluta­mate. Ces neurones, qui sont en quelque sorte bilingues, sont capables à la fois d’activer (via l’acétylcholine) et d’inhiber (via le gluta­mate) la sécré­tion de dopamine.

Le circuit de la récom­pense occupe un rôle central dans la mise en place et le main­tien d’une addic­tion. Trois systèmes de neurones (dopa­mi­ner­giques, séro­to­ni­ner­giques et nora­dr­éner­giques) inter­viennent pour régu­ler le circuit : le dysfonc­tion­ne­ment de l’un d’entre eux peut géné­rer l’addiction.

Dans cette nouvelle étude, réali­sée en grande partie par Diana Yae Sakae au cours de sa thèse diri­gée par Salah El Mesti­kawy, les cher­cheurs montrent que lorsqu’ils bloquent chez les souris un gène essen­tiel à cette commu­ni­ca­tion par le gluta­mate (appelé VGLUT3), les animaux deviennent plus vulné­rables à la cocaïne. Ils ressentent davan­tage les effets stimu­lants de la drogue, déve­loppent plus faci­le­ment une «  addic­tion  » et sont plus suscep­tibles de « rechu­ter » après une période d’abstinence. Le gluta­mate prove­nant de ces neurones à acétyl­cho­line joue­rait donc un rôle régu­la­teur majeur pour limi­ter l’addiction à la cocaïne.

Les cher­cheurs ont alors voulu savoir si ce méca­nisme était aussi à l’œuvre chez l’homme. Ils ont recher­ché, chez des patients poly toxi­co­manes, des muta­tions du gène qui avaient rendu les souris « accros ». A l’Institut Mondor de recherche biomé­di­cale, l’équipe de Stéphane Jamain a observé qu’une muta­tion de ce gène est dix fois plus fréquente dans un groupe de patients toxi­co­manes sévères par rapport à un groupe d’individus sans symp­tômes psychia­triques. Cette muta­tion pour­rait expli­quer une plus grande vulné­ra­bi­lité à l’addiction de ces patients [2][2]. Ces obser­va­tions semblent en tout cas confir­mer le rôle du gluta­mate dans le méca­nisme de l’addiction.

Ces travaux précisent donc les méca­nismes neuro­naux qui sous-​tendent la recherche du plai­sir : ils montrent que, contrai­re­ment à ce que pensaient les scien­ti­fiques jusqu’à présent, ce n’est pas l’acétylcholine seule qui régule la libé­ra­tion de dopa­mine, mais l’équilibre entre acétyl­cho­line et glutamate. 

Ils iden­ti­fient en même temps une cible insoup­çon­née pour le trai­te­ment de la toxi­co­ma­nie. En effet, alors que l’acétylcholine a de nombreuses autres fonc­tions dans le cerveau et au niveau muscu­laire, cette trans­mis­sion par le gluta­mate est plus spéci­fique. La prochaine étape est d’identifier le récep­teur impli­qué, afin de pouvoir mettre au point des trai­te­ments pharmacologiques. 

Ces travaux ont été finan­cés notam­ment par la Fonda­tion pour la recherche médi­cale (FRM) et l’Agence natio­nale pour la recherche (ANR).

[1] Pour commu­ni­quer entre eux, les neurones utilisent des substances chimiques appe­lées neuro­trans­met­teurs. Parmi les neuro­trans­met­teurs clas­siques, on peut citer la dopa­mine, la séro­to­nine, l’acétylcholine et le gluta­mate…(retour au texte)

[2] Ceci dit, même au sein du groupe de patients poly toxi­co­manes, cette muta­tion n’est présente que dans 5 % des cas, signe du carac­tère pluri­fac­to­riel de l’addiction et plus géné­ra­le­ment de la complexité des mala­dies psychia­triques.(retour au texte)

Lu par Domi­nique Bonne

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