Ne pas être qu'un "patient" ...

Libre opinion : Changement d’heure

Paru dans Le Parkin­so­nien Indé­pen­dant n° 23 — décembre 2005

Réflexions nocturnes d’un patient impa­tient pendant une heure inexistante

Il est 5 heures du matin ou bien 4 heures, je ne sais plus très bien, durant cette folle nuit où les trains s’arrêtent et attendent que les aiguilles des pendules soient placées au bon endroit ! Inven­tion de nos tech­no­crates, le chan­ge­ment d’heure est la néga­tion du rythme solaire qui régit la nature tout entière.

Réveillé comme d’habitude par mon cerveau, qui ignore les subti­li­tés de l’heure dite d’hiver, je m’interroge sur la prise de mes médi­ca­ments : dois-​je les prendre tout de suite ou, au contraire, attendre une heure au risque de trem­bler un peu ?

Cruel dilemme, la jour­née risque d’être compro­mise et pour­tant il faut tout de même que je me plie aux fantai­sies de nos tech­no­crates spécia­listes en la matière ! Eux savent pour­quoi : l’heure doit chan­ger. Moi, vous, nous n’y compre­nons rien mais il parait que c’est économique !

Chers amis qui allez être pertur­bés, aidez-​moi ! Le fragile équi­libre mis en place pour absor­ber à peu près à l’heure dite les indis­pen­sables médi­ca­ments risque d’être compro­mis dans les jours à venir. Mais nos tech­no­crates s’en moquent. Le fonc­tion­ne­ment du cerveau et de l’ensemble du corps humain – comme d’ailleurs l’ensemble du monde végé­tal et animal – a ses propres règles qui n’ont rien à voir avec le fonc­tion­ne­ment des pendules : nous le consta­tons tous les jours à nos dépens. Je crains donc que mon appel reste sans réponse.

J’opte donc pour l’attente d’une heure, mise à profit pour écrire ces quelques lignes : après tout, une heure qui n’existe pas est toujours bonne à prendre pour réflé­chir. Cela me conduit à m’interroger sur le savoir, le pouvoir et surtout la vanité de ceux qui croient en possé­der les clés.

Au cours de mes péré­gri­na­tions, j’ai, nous avons, pu juger (et être jugé) les hommes et les femmes selon leurs appa­rences, leurs connais­sances, leur sincé­rité, leur courage et aussi la réalité de leurs convictions.

Main­te­nant que la mala­die nous joue des tours, l’hypersensibilité qui nous habite nous fait décou­vrir plus faci­le­ment toute la vanité de ceux qui prétendent savoir et nous diri­ger – ceci pour notre plus grand bien au nom de la Science. Qu’en est-​il exac­te­ment de ce savoir et les malades peuvent-​ils y souscrire ?

« Plus j’en sais, moins j’en sais » déclare une biolo­giste, grande amie des parkin­so­niens qu’elle a rencon­trés en grand nombre, et qui ne cesse de s’interroger sur les varia­tions de la mala­die de Parkin­son. Son honnê­teté face à toutes les incon­nues qu’elle rencontre lui fait honneur. Mais il n’en est pas toujours de même dans les milieux scien­ti­fiques. Toutes les géné­ra­tions ont connu des êtres excep­tion­nels qui se préten­daient déten­teurs de la Vérité ; hélas elle ne l’était plus à la géné­ra­tion suivante. Ainsi la Vérité du monde scien­ti­fique se modi­fie au jour le jour et de plus en plus vite : que faire face à cette évolu­tion si rapide ?

Pour nous les malades, pas grand-​chose sinon attendre et s’unir avec d’autres pour agir afin que, d’entre toutes « les véri­tés », soit rete­nues de préfé­rence celles qui amélio­re­ront nos condi­tions de vie dans l’attente de la vérité de demain.

Quant aux posses­seurs du soit disant savoir et qui conti­nuent de vouloir domi­ner le monde des malades, qu’ils deviennent plus humbles et plus modestes face à toutes les incon­nues qui restent à décou­vrir : c’est une néces­sité pour le plus grand bien de tous. Des rencontres ponc­tuelles avec le monde du « savoir médi­cal » me font augu­rer d’un progrès très net dans ce sens. Il reste cepen­dant, pour une meilleure compré­hen­sion réci­proque, beau­coup de chemin à parcou­rir des deux côtés.

La règle pour les parkin­so­niens qui ont gardé toutes leurs facul­tés intel­lec­tuelles : être aidés et infor­més OUI ; assis­tés et diri­gés NON ! Contrai­re­ment à ce que nous disent de « bonnes âmes » qui veulent se substi­tuer au patient – mot que j’ai en horreur tant il contient une conno­ta­tion d’asservissement – nous sommes main­te­nant nombreux à connaître notre mal et les moyens actuels de le combattre.

L’interdiction, qui nous est faite encore régu­liè­re­ment de ne pas nous occu­per des effets de la mala­die et surtout de nos trai­te­ments, me hérisse au plus haut point. Comment peut-​on, devant une science aussi évolu­tive et inexacte que la méde­cine où « vérité aujourd’hui est gros­sière erreur demain », vouloir empê­cher d’accéder aux connais­sances actuelles un tech­ni­cien ou un curieux de tout qui durant toute sa vie à évoluer au sein d’un monde de sciences dites « exactes » (mathé­ma­tique, physique ou chimie) ? Vouloir leur inter­dire de comprendre est à la limite du grotesque et du ridicule.

Pour ma part, tech­ni­cien auto­di­dacte, je conti­nue­rai à infor­mer mes semblables, dans le souci du respect des « véri­tés » les plus récentes en espé­rant les soula­ger, un peu,de leurs maux qui sont aussi les miens. Peu m’importe l’avis des « soucieux » du respect que l’on devrait, d’après eux, aux déten­teurs de la « vérité scien­ti­fique ». Autant nous pouvons prendre en consi­dé­ra­tion la masse des études et des recherches accom­plies, la volonté, voire le courage, des cher­cheurs, autant nous leur refu­sons le droit de contrô­ler et diri­ger notre façon d’aborder les problèmes qui se posent quoti­dien­ne­ment à nous.

Toute notre vie nous avons fait face et résolu, plus ou moins bien, quan­tité de problème d’ordre fami­lial, profes­sion­nel et autre. Aujourd’hui, nous pouvons, nous devons, avec l’aide des méde­cins et de notre entou­rage, résoudre nous-​même ceux posés par la mala­die. Du moins, tant que notre tête sera en état de fonc­tion­ner même si nos jambes ne sont plus trop vaillantes !

Nous faisons confiance à la Recherche pour décou­vrir tout ce qui peut être une amélio­ra­tion de nos trai­te­ments, la Méde­cine ayant à sa charge de nous dispen­ser, au mieux des connais­sances actuelles, les meilleurs remèdes. Une infor­ma­tion judi­cieuse, conjointe à la pres­crip­tion, établira la confiance mutuelle entre le méde­cin et le malade. Le doute qui s’installe, parfois, parmi nos « patients », impa­tients de sortir d’une situa­tion de plus en plus dure à vivre, en sera d’autant diminué.

L’aspect psycho­lo­gique de la mala­die de Parkin­son est énorme : nous le consta­tons tous les jours et une méde­cine moderne ne peut igno­rer ce fait.

Bon, ça y est : mon heure de déca­lage est (large­ment) comblée. Me voici, trem­blo­tant, ajusté à l’heure d’hiver ! Qu’importe à nos tech­no­crates que la jour­née des malades va être déran­gée ; que les vaches – pas aussi folles que l’on dit – vont être déso­rien­tées dans leurs habi­tudes de traite, elles qui vivent dans un monde sans pendule

Bernard GEFFRAY

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