Ne pas être qu'un "patient" ...

Patients et Cellules Souches (Stem Cells)

Article issu de Le Parkin­so­nien indé­pen­dant — n° 24 — mars 2006

Confé­rence des 15 & 16 décembre 2005 à Bruxelles
Orga­ni­sée par l’E.F.N.A.(*) et la Commis­sion Européenne

Nous avons eu le plai­sir d’être invi­tée à parti­ci­per à cette confé­rence, unique en son genre puisqu’elle s’était donnée comme objec­tif de faire entendre la parole des patients direc­te­ment concer­nés par la recherche médi­cale dans le domaine des « cellules souches », domaine très « discuté » pour ses impli­ca­tions éthiques fondamentales.

Ce sont plus de 450 personnes venues de 34 pays qui ont écouté mais aussi, et surtout, parti­cipé aux débats. L’assistance était compo­sée de 65% de « patients », pour la plupart repré­sen­tant des asso­cia­tions, et 35% venus d’horizons divers : cher­cheurs, insti­tu­tion­nels, pouvoirs publics.

Par contre, il n’y avait aucun député euro­péen, un seul s’était excusé et un autre était repré­senté par son « atta­ché parle­men­taire » ; cela a été vive­ment regretté par l’assistance. D’autant plus que le débat a porté, entre autre, sur la néces­sité ou non d’une posi­tion euro­péenne commune en matière d’éthique pour la recherche scientifique.

Cinq ateliers se sont succé­dés sur un rythme soutenu durant ces deux jours, magis­tra­le­ment « mana­gés » par le présen­ta­teur de télé­vi­sion CBE, Martyn LEWIS. Ils compor­taient une rapide présen­ta­tion du thème sous forme d’une vidéo suivi de l’intervention d’un panel de personnes repré­sen­ta­tives. Après cette courte intro­duc­tion, la parole était donnée à la salle et les réponses appor­tées par le panel.

Nous avons eu égale­ment la possi­bi­lité d’exprimer nos choix par le biais d’un vote élec­tro­nique qui nous était proposé régu­liè­re­ment. Avant le début de chaque atelier était ainsi exprimé l’opinion de l’assistance.

Atelier 1 : l’histoire des Cellules Souches : 
Est-​ce que nous soute­nons la recherche sur l’embryon ? OUI 71%, NON 11%, sans avis 18%

Ce chiffre monte à 91% de vote favo­rable si l’on inter­roge les patients seuls.

Le débat s’est très rapi­de­ment situé sur les diffé­rentes procé­dures pour obte­nir ces cellules et sur leurs impli­ca­tions en matière d’éthique. Tout d’abord quelques préci­sions quant aux méthodes utilisées :

* Elles peuvent être trou­vées chez l’adulte ce qui pose, à priori, peu de diffi­cul­tés puisqu’elles concernent direc­te­ment le patient en cause. Mais elles sont moins nombreuses et plus diffi­ciles à multiplier.
* Elles existent par contre en très grand nombre dans le sang du cordon ombi­li­cal. Cette procé­dure impose que soient recueillis ces cordons lors des nais­sances, pratique encore peu courante.
* La procé­dure la plus promet­teuse se situe au tout début de la concep­tion : les embryons de 5/​6 jours appe­lés blas­to­cystes(**). Ces blas­to­cystes peuvent donc être issues soit d’une fécon­da­tion in vitro – les embryons dit « surnu­mé­raires », ceux qui ne sont plus utili­sés après la gros­sesse –, soit issues d’interruption volon­taire de gros­sesse, soit d’un clonage thérapeutique.

C’est cette dernière tech­nique qui pose le problème éthique le plus impor­tant suivant que l’on consi­dère les blas­to­cystes comme un simple amas cellu­laire ou comme un être vivant en deve­nir. C’est ici que s’affrontent les diverses posi­tions philo­so­phiques ou religieuses.

Un premier constat s’impose à l’assemblée : le manque d’informations et d’explications au public, les débats demeu­rant essen­tiel­le­ment au niveau des élites intel­lec­tuelles, poli­tiques ou morales.

Atelier 2 : La science rejoint la Médecine 
Savez-​vous si les cellules souches peuvent guérir un cancer ? OUI 63% NON 37%

Les cellules souches font l’objet d’essais de théra­pies pour soigner des cancers sévères tel que la leucé­mie, ou dans le cadre de diabète, de trau­ma­tismes pour répa­rer un dommage. On peut provo­quer le déve­lop­pe­ment de cellules souches pour renou­ve­ler le sang ou la peau par exemple.

Mais il n’existe pas encore de théra­pie : les résul­tats des essais sont encou­ra­geant mais il faut préve­nir le rejet du gref­fon et on constate leur dimi­nu­tion dans le temps. S’il est plus facile de s’attaquer à la mala­die de Parkin­son du fait de sa simpli­cité – la perte des neurones dopa­mi­ner­giques – il faudra au moins une dizaine d’années pour envi­sa­ger les essais sur les cellules humaines

Réac­tions de plusieurs inter­lo­cu­teurs : « Ce n’est pas éthique de ne pas faire la recherche sur les embryons puisqu’on lais­se­rait des malades sans réponse au nom de la défense d’amas cellu­laires qui n’ont aucune chance de deve­nir des êtres vivants en parti­cu­lier dans le cadre des embryons surnuméraires ». 

Atelier 3 : La vision des patients 
En tant que malade, avons-​nous une place recon­nue dans la recherche ?

OUI : 15% NON : 67% SO : 18%

Est-​ce qu’il existe des blocages pour que l’on informe le public sur ces recherches ? Sans aucun doute car est très présent à l’esprit des déci­deurs ce qui se passe pour les O.G.M.. Il faut être très prudent dans la recherche : la sécu­rité est primordiale.

Pour les Parkin­so­niens par exemple, il faut faire quasi­ment du « sur mesure » propre à chaque indi­vidu ; une approche multi­dis­ci­pli­naire est indispensable.

Pour autant l’éthique ne doit pas empê­cher la recherche.

Atelier 4 : Recherche sur les cellules souches et Société. 
Qu’est ce qui influence le plus le débat ?

La reli­gion : 47% la Poli­tique : 32% les Médias : 10%. poli­tique, histoire, loi : 5%

Pour les oppo­sants à la recherche sur les embryons :

Les malades refuseraient-​ils un trai­te­ment issu d’un embryon ? OUI 24%, NON 75%

Refuseraient-​ils un médi­ca­ment issu de cette recherche ? OUI 15%, NON 81%

Il appa­raît néces­saire l’instauration d’un débat démo­cra­tique sur le sujet : le public manque d’information sur le sujet. Comment mettre les patients dans le coup d’un vrai débat ?

On peut consta­ter que la place des reli­gions est essen­tielle dans ce débat. Des repré­sen­tants des prin­ci­pales reli­gions exposent leur point de vue synthétique :

* Pour la reli­gion juive, l’embryon précoce ne devient un être humain qu’à partir du 40ème jour après la concep­tion. La recherche sur les cellules souches ne pose donc pas de diffi­culté éthique pour elle.
* Pour la repré­sen­tante des musul­mans, la reli­gion n’a pas le mono­pole de l’éthique. Il n’y a pas vie humaine avant un certain délai. Par ailleurs, il est tout à fait justi­fié d’aider une « vie exis­tante » par une « vie potentielle ».
* Pour le repré­sen­tant des protes­tants, il n’y a pas une oppo­si­tion forte à la posi­tion des catho­liques. Il faut être à l’écoute des posi­tions de chacun avec la limite précise qu’il ne faut pas créer d’embryons pour la recherche ; mais, par contre, il parait judi­cieux d’utiliser les embryons « surnu­mé­raires » plutôt que de les détruire.
* Pour l’église catho­lique, le prin­cipe est très strict : Il y a « être humain » en deve­nir dès la concep­tion. Par ailleurs, il ne peut pas être ques­tion d’utiliser un être humain – et donc les embryons surnu­mé­raires par exemple – comme moyen ou médi­ca­ment pour un autre humain.

Le constat appa­raît donc qu’une posi­tion unanime est impos­sible à envi­sa­ger sinon sur un consen­sus soit trop rigide soit trop dilué et donc inutilisable.

Certains inter­ve­nants soulignent toute­fois qu’il reste l’utilisation du sang de cordon ombi­li­cal qui a priori ne pose­rait pas de diffi­culté et l’activation des cellules souches à l’intérieur de l’individu lui-même.

D’autres font le rappro­che­ment avec la contra­cep­tion et soulignent l’ambiguïté des posi­tions scien­ti­fiques et éthiques.

Quel statut juri­dique pour l’embryon : un être ou une chose ?

Atelier 5 : poli­tiques et médias en Europe 
Les débats sont-​ils équi­li­brés ? OUI : 14% NON : 72% SO : 14%

Qui influence le plus le débat ? Les hommes poli­tiques : 18% ; les médias : 82%.

Cet atelier a été très perturbé par une panne géné­rale de sono­ri­sa­tion et donc égale­ment de traduc­tion. La prise de parole n’en a pas été faci­li­tée (ce qui est le comble pour le thème de cet atelier) ni les échanges qui se sont essen­tiel­le­ment traduits par quelques monologues.

Atelier 6 : les pers­pec­tives d’avenir pour les patients 
L’Europe peut-​elle faire avan­cer le débat ? OUI : 73% NON : 27%

Il est indis­pen­sable que la Recherche soit enca­drée pour éviter toute dérive poten­tielle d’autant que d’autres pays – la Chine, la Corée du Sud – avancent dans le domaine et qu’une concur­rence écono­mique va se faire jour prochai­ne­ment : pourrons-​nous refu­ser aux malades l’utilisation de théra­pies ou de médi­ca­ments produits de la recherche sur les cellules souches y compris issues des embryons ?

Conclu­sion :
L’assemblée vote sur la recherche pour les cellules souches :

OUI à 82% au lieu de 71% au début NON 12% au lieu de 11% SO 6% au lieu de 18%

Les patients de l’assemblée se disent favo­rable à la recherche sur les cellules souches pour 97% au lieu des 91% du début.

L’assemblée estime que la recherche débou­chera sur des résul­tats concrets dans :

10 ans pour 61% au-​delà de 20 ans pour 35% au-​delà de 30 ans pour 4%

Marie BACKER, prési­dente de l’E.F.N.A. et prési­dente de l’E.P.D.A., conclut les débats :

Cette rencontre montre tout l’intérêt suscité par cette recherche qui ouvre de grands espoirs pour nombre de maladies.

Elle souligne combien les malades et leurs repré­sen­tants souhaitent être partie prenante des débats et s’impliquer de manière plus effi­ciente dans la recherche.

Leurs inté­rêts les amènent à dépas­ser les clivages poli­tiques, éthiques et reli­gieux qui pour­raient frei­ner les progrès de la médecine.

Il est enfin apparu une réelle soif de connais­sance et d’information.

En tant qu’invitée excep­tion­nelle, Rasheeda ALI est venue lire les encou­ra­ge­ments de Moha­med ALI, son père atteint de la mala­die de Parkin­son, qui souhaite le déve­lop­pe­ment de ces recherches et de la place à réser­ver aux malades dans le débat.

Par Jean GRAVELEAU graveleau.jean2@wanadoo.fr

(*)EUROPEAN FEDERATION of NEUROLOGICAL ASSOCIATIONS, orga­ni­sa­tion prési­dée par : Mary G. BAKER prési­dente de l’E.P.D.A. (Euro­pean Parkinson’s Disease Association)

(**)Blas­to­cyste : stade du déve­lop­pe­ment embryon­naire précoce (de 5 à 7 jours chez l’homme) au cours duquel coexistent les cellules péri­phé­riques, à l’origine du placenta, et des cellules de la masse interne, qui forme le bouton embryon­naire. Le blas­to­cyste est issu de la segmen­ta­tion de l’embryon au stade « morula » (16 cellules iden­tiques), et comporte une centaine de cellules consti­tuant la masse interne lorsqu’on prélève les cellules au 6ème jour

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