Le sommeil et les rythmes biologiques : Effets de la maladie de Parkinson
Publié le 01 novembre 2007 à 10:05Paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT N°30 – septembre 2007
Dr Claude Gronfier, Département de Chronobiologie
Inserm U846, Institut Cellule Souche et Cerveau, Lyon-Bron
Le sommeil est loin d’avoir livré tous ses secrets. On sait qu’il est indispensable à la vie puisqu’on le retrouve dans l’ensemble du règne animal : chez les oiseaux, les reptiles, les poissons, les mammifères et même les insectes. Sa structure, sa durée, sa place dans la journée ne sont pas les mêmes chez tous les animaux. Certains sont diurnes et dorment la nuit, d’autres sont nocturnes et dorment le jour, certains sont crépusculaires et dorment un peu le jour et un peu la nuit. On observe aussi des différences chez l’Homme. Certains d’entre nous sont des petits dormeurs, d’autres des marmottes, certains sont des couche-tôt, d’autres des lève-tard. Chez un même individu, le sommeil se modifie au cours de la vie, depuis l’enfance à la vieillesse en passant par l’adolescence. Notre horloge biologique est au cœur de ces phénomènes. Dormir est une histoire de rythme. L’horloge biologique est le chef d’orchestre. Dans certaines situations de la vie courante et certaines pathologies, la belle symphonie devient cacophonie et le sommeil se dégrade. La maladie de Parkinson, connue principalement pour ses troubles moteurs, est associée de troubles du sommeil qui peuvent rendre la vie bien difficile, la nuit bien agitée et la journée bien longue !
Qu’est-ce que le sommeil ?
A la question « Qu’est-ce que le sommeil ? » les spécialistes ont toujours beaucoup de difficultés à donner une réponse simple. Et pour cause, la réponse est compliquée ! Elle est compliquée car le sommeil est un état actif — et non passif comme on le croyait encore au début du 20ème siècle – mais aussi, et surtout, parce que l’on ignore encore LA fonction du sommeil.
Bien que le sommeil ait toujours fasciné et inquiété l’Homme, son mystère, en tout cas une partie seulement, ne s’est réellement éclaircie qu’au début du 20ème siècle. Ce n’est qu’en 1928 par le psychiatre allemand Hans Berger, que la démonstration était faite de manière indiscutable que le sommeil n’était pas un état passif. Ces enregistrements de l’activité électrique cérébrale montraient très clairement des différences de rythmes électriques entre l’état éveillé et l’état de sommeil. Le sommeil devenait alors un état actif et l’étude de l’activité électrique cérébrale au cours du sommeil ne faisait que commencer.
Une découverte majeure fut faite en France dans les années 1950. Au cours de cette décennie, Michel Jouvet découvrait à Lyon un stade particulier du sommeil qu’il appelait le sommeil paradoxal. Il observait chez le chat que l’activité électrique cérébrale dans cet état était proche de la veille alors que paradoxalement l’animal était endormi. Les travaux de Michel Jouvet à la fin des années 1950, montraient que le sommeil paradoxal était un état très particulier du sommeil, différent du sommeil à ondes lentes. Cette découverte a ensuite servi de base au concept que l’activité du cerveau au cours de la journée ne se résume pas à un état binaire (veille ou sommeil) mais qu’elle passe par 3 états de « vigilance » : la veille, le sommeil à ondes lentes et le sommeil paradoxal.
Les fonctions du sommeil
Trois grandes théories ont prévalu jusqu’à maintenant pour tenter d’expliquer la fonction du sommeil :
- La théorie restaurative : le sommeil permet de récupérer ou restaurer les déficits corporels ou cérébraux causés par les activités de la veille.
- La théorie du maintien de la veille : chez les espèces qui possèdent de faibles réserves énergétiques il faut rester éveillé pour se nourrir et donc dormir peu pour survivre.
- La théorie de la conservation de l’énergie : le sommeil permet de diminuer les dépenses énergétiques (pendant qu’on dort on dépense) au cours des 24h.
Ces trois théories sont intéressantes, mais ne sont pas satisfaisantes car de nombreuses espèces animales échappent à ces critères. Même si l’on ne connaît pas encore LA fonction du sommeil, ce que l’on peut dire avec certitude est que le sommeil n’est pas un luxe ! Le sommeil est même vital car son absence chez l’animal conduit à la mort en quelques semaines. Sans aller jusqu’à cette extrémité, on sait que la privation de sommeil ou la dette de sommeil à des conséquences chez l’Homme. A court terme, un sommeil insuffisant conduit à un état de fatigue, une baisse des performances, des troubles de la mémoire. Cela peut aller jusqu’à provoquer une irritabilité, une inefficacité physique ou intellectuelle, et conduire à des accidents du travail ou de la route. A long terme, les effets sont moins biens connus car ils sont plus difficiles à étudier, mais ils sont pernicieux car moins évidents. On pense à l’heure actuelle qu’un sommeil insuffisant de manière chronique peut conduire à l’apparition de troubles de l’humeur (anxiété, dépression), à des troubles cardiovasculaires et des troubles du métabolisme (éventuellement conduire au développement ou au maintient de l’obésité) pour n’en citer que quelques uns. En bref, on considère maintenant qu’une altération de la qualité du sommeil (volontaire ou involontaire) peut avoir un impact négatif sur l’état de santé général.
Le sommeil chez l’animal
Avant de pouvoir comparer le sommeil des différentes espèces animales, il faut tout d’abord définir ce qu’on appelle le sommeil. Deux éléments importants définissent le sommeil :
- Le sommeil est un état de désengagement perceptif, c’est-à-dire un état dans lequel l’individu (l’animal) est soustrait de l’environnement, on pourrait dire isolé intérieurement, en perdant toute sensibilité perceptive (il n’est plus sensible au bruit, a la lumière, aux odeurs, au toucher et au goût).
- Le sommeil est un état rapidement réversible, à la différence du coma, de l’hibernation, mais aussi de la mort. Au réveil, il n’existe plus aucune trace visible du passage du sommeil.
Ces éléments sont importants mais ne permettent pas de définir suffisamment précisément le sommeil. Pour cela, on fait appel à 2 critères précis, qui doivent être vérifiés simultanément pour pouvoir parler de sommeil :
- Les critères comportementaux. Le sommeil est associé à i) une posture particulière — qui dépend de l’espèce animale ; ii) une diminution de la sensibilité à environnement (nous en avons parlé au dessus); iii) un rebond de sommeil après privation : si un animal est privé de sommeil (pendant quelques heures, quelques jours), on observe lors de l’épisode de sommeil suivant une augmentation de la quantité et la qualité du sommeil.
- Les critères électrophysiologiques. Les critères indispensables permettant de s’assurer de la présence de sommeil utilisent l’activité électrique cérébrale comme marqueur (ce qu’on appelle l’électroencéphalographie de sommeil ou polysomnographie dans les cliniques de sommeil). On doit observer pendant le sommeil une activité électrique cérébrale différente de celle de la veille et des signes précis de sommeil à ondes lentes et de sommeil paradoxal.
L’existence du sommeil est indiscutable chez les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et les poissons. Elle a été plus controversée chez les invertébrés. La dernière discussion passionnante en date – et toujours d’actualité — concerne le sommeil chez la mouche. A partir d’élégantes études, Chiara Chirelli, une chercheuse italienne travaillant aux états unis, a décrit le sommeil de la drosophile (la mouche du vinaigre, très étudiée en biologie). Elle a montré que cette mouche présente un rebond de sommeil après une privation (elle dort plus longtemps) et qu’elle pouvait être maintenue éveillée pendant une longue durée si on lui administrait de la caféine ou des amphétamines. Plus surprenant encore, la mouche, tout comme l’Homme, présente des troubles de la mémoire lorsqu’elle ne dort pas suffisamment ! On peut donc parler de sommeil chez la mouche.
Le sommeil chez l’Homme
La durée et le rythme du sommeil varient entre les individus
Les besoins de sommeil sont différents entre les individus d’une même espèce. Comme l’illustre la figure 1 issue d’une enquête effectuée en France 2005, près de 60% de la population interrogée dort entre 7 – 8h par nuit. Il existe des petits dormeurs qui dorment 6h et moins (23%) et des grands dormeurs qui dorment plus de 9h (15% des individus). La biologie, plus précisément, des mécanismes circadiens (contrôlés par l’horloge biologique) et homéostatiques, sont à l’origine de la durée de notre sommeil.
La croyance que les gros dormeurs sont des fainéants et que les petits dormeurs sont des courageux doit disparaître ! Nous seulement elle est stupide car ne repose sur des croyances d’une autre époque, mais elle est potentiellement dangereuse car restreindre volontairement sa durée de sommeil de manière chronique peut conduire aux symptômes que nous avons évoqués précédemment (fatigue, irritation, …), mais plus grave encore, elle peut être à l’origine d’accidents causés par des attaques de sommeil (au volant ou au travail) et elle peut conduire à développer des pathologies.
Le mal moderne des pays industrialisées est le manque de sommeil. Il faut savoir qu’on dort en moyenne 1h30 de moins qu’au début du 20ème siècle. Puisque la dette de sommeil accumulée pendant la semaine se traduit généralement par un rebond de sommeil pendant le week-end, on a tendance à croire que cela ne pose pas de problème. Rien n’est moins sûr ! Les données actuelles suggèrent même le contraire, c’est-à-dire que la dette de sommeil n’est pas sans conséquence sur la santé. Elle aurait un coût physiologique ! On pense à l’heure actuelle que la dette de sommeil est sans doute proche de 1h par jour, soit environ 5h par semaine travaillée. Dormir plus le week-end est capital pour « éponger » une partie de la dette de sommeil accumulée durant la semaine, mais cela n’est peut être pas suffisant pour restaurer tous les compartiments de l’organisme. Ce qui a été perdu est peut être perdu à tout jamais. Nous ne connaissons pas à l’heure actuelle l’étendue des conséquences d’un manque de sommeil chronique.
La quantité et la structure du sommeil varient au cours de la vie.
La structure du sommeil va se mettre en place progressivement pendant l’enfance. Le sommeil va devenir consolidé (c’est-à-dire en un seul épisode) avec la disparition de la sieste chez l’enfant (entre 4 et 6 ans en moyenne). Au cours de l’adolescence, le sommeil va progressivement se retarder, au grand dam des parents qui verront leurs enfant se coucher bien trop tard pour pouvoir se réveiller frais et dispos le matin pour aller à l’école. Heureusement, la maturation de l’horloge biologique va corriger ce phénomène et le sommeil va se normaliser chez le jeune adulte (les couche-tard biologiques resteront des couche-tard). La structure interne du sommeil, se modifiera à l’age adulte avec le vieillissement. Avec l’âge, la quantité totale de sommeil nocturne diminue et l’on peut voir se développer chez certains un sommeil polyphasique avec l’apparition d’une ou plusieurs siestes dans la journée. Le sommeil chez le sujet âgé sera souvent plus court et sa qualité moindre (on observe en particulier une diminution de l’intensité du sommeil à ondes lentes et une augmentation du nombre d’éveil). Tout comme on observe une diminution du besoin calorique au cours du vieillissement, il est légitime de se demander si le besoin de sommeil ne diminue pas de la même manière avec l’âge. Il semble toutefois que ce ne soit pas le cas pour un grand nombre d’individus puisque entre 40 et 70% des personnes âgées se plaignent de troubles du sommeil.
Le sommeil dans la maladie de Parkinson
La maladie de Parkinson est bien connue pour ses perturbations du contrôle moteur (tremblements, rigidité, akinésie). Ce qui est moins connu, ou en tout cas qui a manifesté moins d’intérêt, sont les troubles du sommeil et des rythmes biologiques. Même si James Parkinson dans son ouvrage « Assay on the Shaking Palsy » en 1817 écrivait « le sommeil devient très perturbé », les symptômes nocturnes — présents chez 75% des patients — n’ont été étudiées qu’a partir des années 1960.
Troubles du sommeil
Les troubles du sommeil du patient Parkinsonien sont caractérisés par des difficultés d’endormissement, une insomnie matinale, une fragmentation importante du sommeil (on peut observer jusqu’à 40% de veille au cours de la nuit), une diminution de la durée du sommeil à ondes lentes et du sommeil paradoxal (voir la figure 2). Les troubles de la vigilance diurne accompagnent souvent la faible efficacité du sommeil. En bref, il est souvent difficile pour le patient de s’endormir et de rester endormi la nuit alors que la journée il lui faut parfois lutter pour rester éveillé (ce qu’on appelle la somnolence diurne excessive). Alors que chez le sujet sain le sommeil est réparateur, le patient Parkinsonien se réveille souvent fatigué et peu reposé.
Troubles des rythmes biologiques
En plus des troubles du sommeil, certaines études rapportent des perturbations des rythmes biologiques chez le malade Parkinsonien. Une diminution de l’amplitude des rythmes de température et de l’activité motrice ont été décrites. Les mécanismes de régulation du système nerveux autonome sont perturbés et une perte du rythme de 24 h de la pression artérielle liée à une hypertension nocturne est observée. Les systèmes hormonaux sont semble-t-il aussi affectés : le cortisol présente une diminution de l’amplitude de son rythme de 24 h et la prolactine présente des niveaux nocturnes plus faibles. Des études récentes montrent que le siège de l’horloge biologique (le noyau suprachiasmatique) pourrait subir une perte de certains neurones impliqués dans son bon fonctionnement. De ce fait, les modifications des rythmes biologiques observés dans la maladie pourraient être la conséquence d’une altération de cette petite structure.
Impact des traitements actuels sur le sommeil
Les traitements actuels visent principalement les symptômes moteurs. Ils sont évidements indispensables, toutefois, leur impact sur le sommeil est loin d’être négligeable. Les doses élevées de médicaments dopaminergiques le soir augmentent la latence d’endormissement. Ils perturbent le sommeil de début de nuit mais peuvent augmenter la qualité du sommeil de la 2ème partie de la nuit. Utilisés dans la journée ou en soirée, les agents dopaminergiques peuvent induire des troubles de sommeil nouveaux (c’est-à-dire non liés à la maladie mais au médicament lui-même) : rêves agités, cauchemars et terreurs nocturnes (dans 30% des cas avec la L‑dopa). La L‑dopa en traitement chronique de longue durée peut induire des myoclonies nocturnes (des contractions musculaires involontaires) et des mouvements périodiques des jambes durant le sommeil. Enfin, les dyskinésies insomnies, tremblements et rigidités sont traités par de nombreux agents tels que : de faibles doses agonistes DA, des benzodiazépines ou des antidépresseurs tricycliques. Ces médicaments sont certes efficaces contre ces symptômes mais ils possèdent malheureusement des effets secondaires sur le sommeil.
La recherche actuelle : chronobiologie et maladie de Parkinson
Ces vingt dernières années, les travaux scientifiques ont permis des avancées importantes dans la compréhension, à la fois du développement de la maladie et du dysfonctionnement des structures cérébrales atteintes. Toutefois, on ne connaît toujours pas l’origine des troubles du sommeil, ni les approches qui pourraient éviter ou ralentir leur développement au cours de la maladie. Dans le cadre d’un projet multi-équipes de notre unité de recherche (faisant intervenir de nombreuses expertises dans des domaines différent allant des neurosciences à la biologie des cellules souches), nous nous intéressons, au sein du Département de Chronobiologie, tout particulièrement à l’apparition des troubles du sommeil et des rythmes biologiques dans la maladie de Parkinson. Nos projets de recherche visent en particulier à étudier si ces troubles apparaissent de manière précoce dans la maladie et pourraient ainsi constituer des marqueurs permettant d’agir plus tôt et de proposer des traitements plus adaptés que ceux existant à l’heure actuelle. Nos projets visent aussi à mieux comprendre certains symptômes bien connus des patients et pour lesquels nous n’avons pas encore d’explication, par exemple :
- Pourquoi chez environ 50% des patients, la sévérité des symptômes moteurs est elle plus faible le matin au réveil (un phénomène appelé “bénéfice du sommeil” ou sleep benefit en anglais) ?
- Pourquoi certains patients présentent des variations diurnes marquées de la rigidité/dystonie, qui est faible le matin au réveil avec une augmentation progressive de la rigidité, des tremblements et de la dysarthrie au cours de la journée ? Pourquoi les symptômes sont-ils améliorés par une sieste ?
Nous y travaillons. Nous pensons que l’horloge biologique joue un rôle dans ces phénomènes. Si c’est la cas, alors des approches chronobiologiques pourront être testées. Dans tous les cas, restez à l’écoute, nous vous donnerons prochainement des nouvelles sur l’avancement de nos travaux.
Pour en savoir plus
Les lecteurs qui voudraient en savoir plus sur les mécanismes du sommeil et des rythmes biologiques peuvent consulter les ouvrages suivants, ils sont destinés au grand public et ne nécessitent aucunes connaissances préalables :
* Sylvie Royant-Parola, Claude Gronfier, Joelle Adrien. Les mécanismes du sommeil : rythmes et pathologies, Paris, Le Pommier/Cité des sciences et de l’industrie, 2007
* Marie-Josèphe Challamel, Marie Thirion. Le Sommeil, le rêve et l’enfant. Paris, Albin Michel, 2002.
* Michel Jouvet. Pourquoi rêvons-nous, pourquoi dormons-nous ? : où, quand, comment ? Paris, Odile Jacob, 2000.
* Sylvie Royant-Parola, Comment retrouver le sommeil par soi-même, Paris, Odile Jacob, 2002.
Remerciements
Un grand merci à Madame Colette Veguer pour son invitation à Rennes et l’organisation de la Conférence du 14 mai 2007. L’organisation était parfaite, le public était nombreux et chaleureux, et la collation qui a suivi était fort agréable. Merci aussi à Madame Jacqueline Géfard pour sa chaleureuse invitation à contribuer, par cet article, au journal « Le Parkinsonien Indépendant ».
Dr Claude Gronfier
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