Interview du professeur LAJAT
Publié le 15 décembre 2001 à 21:08paru dans Le Parkinsonien Indépendant n°7 — décembre 2001
19 novembre 2001
Accueillis chaleureusement dans son service au CHU Nord de NANTES, nous avons pu poser toutes les questions au Professeur LAJAT qui s’est prêté de bonne grâce à cette interview après une journée de travail chargé (il avait procédé à une intervention chirurgicale de neurostimulation dans la journée).
Question : Comment en êtes-vous venu à pratiquer cette chirurgie ?
Pr. LAJAT :
Tout d’abord précisons qu’il s’agit de « neurochirurgie fonctionnelle ».
En terme de chirurgie générale on savait, par les études entomologiques faites, se repérer dans le cerveau. Mais c’est l’utilisation de la stéréotaxie par le Professeur TALAIRACH, à l’hôpital Sainte Anne, puis LECKSELL (Suède), qui a permis dès 1945 de mieux localiser avec précision les différents noyaux du cerveau dans les trois plans de l’espace.
Ainsi un véritable travail de bénédictin a permis de construire un plan du cerveau en trois dimensions qui sert la neurochirurgie fonctionnelle : l’épilepsie, les mouvements anormaux, la douleur, la radio chirurgie.
Aujourd’hui, les techniques, bénéficiant des avancées technologiques, se sont adaptées aux méthodes modernes (le scanner, l’I.R.M., l’informatique, robots).
Ces techniques permettent de définir précisément la cible et le choix des voies d’accès ; le robot se positionne alors dans l’axe précis suivant lequel on veut introduire un tube comportant 5 électrodes que l’on descend micron par micron.
En stimulant les cellules, on détecte les cellules qui déchargent – on peut même les entendre – et on définit ainsi les zones pathologiques.
Question : Comment se déroule l’opération ?
Pr. LAJAT :
Elle se déroule en trois phases
— Tout d’abord, à l’aide d’un « micro descendeur », on introduit progressivement une électrode de la taille d’un cheveu afin de déterminer les zones pathologiques, comme je viens de l’indiquer.
— Puis avec une électrode plus volumineuse, on stimule les cellules plot par plot (il y en a 5) afin de préciser exactement la cible de la neurostimulation.
— Enfin, on place l’électrode définitive dont chaque plot mesure environ 1 cm de long.
Ensuite vient la phase des réglages définitifs.
Question : Mais comment détermine-t-on la zone précise du cerveau concerné ? Est-elle située au même endroit pour tous ?
Pr. LAJAT :
Il s’agit de repérer à partir de l’imagerie médicale (IRM, scanner) le noyau sous-thalamique ; sa localisation est différente suivant les individus : il y a des cerveaux plus gros les uns que les autres ; des espaces interstitiels plus ou moins grands suivant l’état de la personne.
Une fois repéré le troisième ventricule de l’hypothalamus, on recherche deux points remarquables : la commission antérieure (C.A.) et la commission postérieure (C.P) . En effet, la distance entre ces deux points est toujours la même dans un cerveau humain quelque soit la personne concernée. C’est une constante qui va nous servir à dessiner très précisément les contours du noyau sous thalamique qui se situe exactement au 1/3 de la ligne C.A./C.P. et une parallèle 4 mm au-dessous de cette ligne.
D’autres cibles sont également possibles : le V.I.M. (noyau ventral intermédiaire) qui agit sur le tremblement, le Pallidum interne, qui concerne la rigidité et les dyskinésies Dopa induites.
Avant de s’attaquer au noyau sous thalamique, l’expérience sur l’animal a été indispensable : on a hésité longtemps parce que l’on savait que l’intervention dans ce secteur pouvait provoquer de terribles mouvements excessifs (émi-ballisme).
Aujourd’hui, on intervient sur cette zone afin de traiter par stimulation les trois symptômes cardinaux de la maladie de Parkinson.
Question : Y a‑t-il un profil particulier du malade ?
Pr. LAJAT :
Tout à fait. Il y a des critères pour sélectionner les malades susceptibles d’être opérés. En effet, compte tenu de la lourdeur de l’intervention, il n’y a pas droit à l’erreur ; il nous faut intervenir dans des cas ou la réussite est quasi certaine.
Tout d’abord, il s’agit de malades qui ne réagissent plus au traitement médical, dont les doses médicamenteuses ne permettent plus d’apporter la réponse minimum attendue : des fluctuations motrices insupportables (blocages ou dyskinésies). Mais ils doivent toujours être « dopa sensible »
Il faut ensuite vérifier l’état mental du patient par des batteries de test neuropsychologiques afin de déterminer s’il y a détérioration intellectuelle. En effet, l’opération se déroule sans anesthésie, sinon locale, avec un patient conscient et éveillé qui doit répondre aux demandes du chirurgien et réagir au fur et à mesure de l’évolution de l’opération. De plus, la durée très longue de l’intervention (5 à 6 H) réclame une condition physique et intellectuelle importante.
Et puis la neurostimulation intervient sur les zones profondes du cerveau et peut provoquer des réactions psychologiques surprenantes ou désagréables qu’il faut être en capacité d’aborder de manière équilibrée à la suite de l’opération : elle peut lever des inhibitions importantes (cas souvent cité d’une sexualité débridée), provoquer des troubles du comportement tels qu’une dépression extrême pouvant aller jusqu’à la tentative de suicide. Les réglages qui suivront vont améliorer ces inconvénients mais cela demande un grand équilibre de la part du patient.
Le malade est vu par le neurologue, le chirurgien et le neuropsychologue en préopératoire. Il est ensuite inscrit sur une liste d’attente. Trois à six mois plus tard, on revérifie les données et la motivation du patient avant de le programmer.
Question : Que se passe-t-il ensuite ?
Pr. LAJAT :
Il faut procéder aux réglages définitifs ; il y a donc des visites à 3, 6 et 12 mois durant lesquelles on va « jouer » sur les 4 plots, l’intensité et la fréquence des impulsions électriques. Le malade va devoir être acteur en tenant à jour un cahier de bord de ses réactions afin d’affiner ces réglages qui sont relativement longs.
Le problème le plus important vient essentiellement de la discordance entre les résultats et les attentes du malade. En effet, la maladie est toujours présente : on ne la guérit pas et elle va continuer à évoluer. Par ailleurs, si la personne retrouve le confort d’une vie sans quasiment de symptômes (comme pendant la période dite de « lune de miel »), elle se retrouve avec son âge et donc de moins grandes capacités à agir.
De même cela peut produire un déséquilibre dans la vie du couple : le conjoint a investi dans la maladie et toute sa vie s’est fixée dans l’accompagnement d’un malade qui revient dix ans en arrière et devient autonome.
La neurostimulation est donc une opération aux incidences très importantes qui a des effets à la fois physiques mais aussi psychologiques et qui agit sur le système neurovégétatif. Par contre, elle n’entraîne pas de lésion et on peut toujours revenir en arrière par arrêt de la stimulation.
Question : Quelle « durée de vie » pour le système ?
Pr. LAJAT :
Depuis les premiers travaux du Professeur BENHABIB (Grenoble), on constate des progrès importants. Les techniques ont évoluées rapidement d’autant que les stimulateurs bénéficient des même recherches qu’en cardiologie, lutte contre la douleur ou l’épilepsie.
Les piles ont maintenant une durée de vie de 5 à 7 ans et les moyens distribués par les pouvoirs publics sont en augmentation importante grâce, notamment, aux actions des associations. C’est ainsi que plus d’une quinzaine d’équipes interviennent en France.
On pourrait stimuler de telle manière que l’on supprime toute prise de médicament mais nous préférons dans notre groupe laisser une prise minimum de médicaments parce que, comme je l’ai dit, la maladie est toujours en évolution et, de toutes façons, un jour ou l’autre il faudra revenir à la prise de ceux-ci.
Des chiffres : Depuis 1995, nous avons réalisé 76 opérations pour 47 malades : 36 sous thalamiques, 8 thalamiques et 3 pallidales. Nous avons la possibilité d’intervenir pour 50 opérations par an. Mais il faut former et consolider les équipes.
L’intervention dure longtemps. C’est pourquoi, lors d’une double implantation, nous préférons agir en deux fois : l’ensemble des interventions représente près de 15 heures d’intervention.
Une dernière question : La reprise du travail.
Pr. LAJAT :
Nous avons des malades soignés qui sont tout à fait en capacité de retravailler mais les employeurs ne savent pas, ou ne veulent pas, assumer un soi-disant risque en accueillant une personne neurostimulée. Pourtant, elle a recouvré la quasi-totalité de ces capacités. Il y a là matière à une action conjointe des associations et des praticiens pour sensibiliser les médecins du travail.
Interview réalisée par Jacqueline GEFARD et Jean GRAVELEAU
Pas encore de Commentaires Cliquer ici pour laisser un commentaire
Laisser un commentaire
Flux RSS des commentaires de cet article.
Propulsé par WordPress et le thème GimpStyle créé par Horacio Bella. Traduction (niss.fr).
Flux RSS des Articles et des commentaires.
Valide XHTML et CSS.