Ne pas être qu'un "patient" ...

Parkinson et qualité de vie

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°53
Enquête de Bernard Compere

Lorsqu’en 2003, à l’âge de 62 ans, j’ai été diag­nos­ti­qué parkin­so­nien, je dois avouer que ma première réac­tion ne fut ni posi­tive ni construc­tive… ni même sans doute très coura­geuse. Ni lâche d’ailleurs. Non. Seule­ment inat­ten­due. C’est cela, inat­ten­due. Je n’avais jamais rien connu de semblable. La garce m’avait pris par surprise. Le coup en traître. Le coup en vache. Par derrière. Sans que je m’y attende. Comme un boxeur sonné, j’ai tout d’abord encaissé l’uppercut et mis un genou à terre. C’est-​à-​dire qu’en fait, sur l’ins­tant, je n’ai pas eu de réac­tion du tout. La nouvelle était trop énorme, trop incon­ce­vable, pour que je puisse en mesu­rer rapi­de­ment les tenants et les abou­tis­sants. Je ne savais plus qui j’étais, où j’étais, pour­quoi j’étais là. Je venais juste de prendre ma retraite. Après plus de 40 années d’une exis­tence diffi­cile et doulou­reuse. J’avais bien mérité de me repo­ser un peu. Du moins j’en étais persuadé. Hélas…

Ce n’est qu’au bout de plusieurs mois, repre­nant progres­si­ve­ment mes esprits, que le carac­tère injuste et pour tout dire inac­cep­table de ma nouvelle situa­tion m’est apparu. Il était hors de ques­tion que je me laisse abattre pour quelques milli­grammes de dopa­mine manquant à mon paque­tage. Non seule­ment il fallait que je fasse quelque chose, mais ce quelque chose devait ressem­bler à un vrai travail, bien prenant, bien pénible, et comble du comble, qu’il fût utile. Je n’ai jamais su fonc­tion­ner autre­ment. Un rapide coup d’œil pano­ra­mique sur mes goûts et mes compé­tences me fit comprendre que le plus simple était encore de capi­ta­li­ser et de valo­ri­ser l’ex­pé­rience acquise au cours de mes 40 années d’ac­ti­vité profes­sion­nelle. Puisque avant j’étais enseignant-​chercheur, pour­quoi ne pas tout simple­ment pour­suivre dans cette voie qui était, au bout du compte, celle que je connais­sais le mieux et qui était suscep­tible de répondre à mes attentes ? Partant de là, il suffi­sait peut-​être de modi­fier un peu l’ob­jet habi­tuel de mes recherches et faire de la mala­die de Parkin­son, non plus mon enne­mie, mais ma complice, mon nouveau centre d’in­té­rêt, pour que la catas­trophe devienne une sorte de trem­plin me permet­tant de rebon­dir. C’est ainsi que je fus amené à conce­voir l’idée d’une grande enquête natio­nale pour dres­ser une sorte d’état des lieux du parkin­so­nisme en France en 2006. Le présent « petit dossier » consti­tue une forme d’abou­tis­se­ment provi­soire et très partiel de mon travail. Il repré­sente en quelque sorte le résul­tat d’une démarche paradoxale.

J’ai souhaité présen­ter1 dans ce dossier les diffé­rentes étapes et les diffé­rents états qui ont jalonné mon parcours. En effet, tout le monde n’est peut-​être pas fami­lia­risé avec la métho­do­lo­gie de l’en­quête et le trai­te­ment des données. En parti­cu­lier, mon souci a été de faire comprendre par l’exemple comment on passe progres­si­ve­ment d’une infor­ma­tion latente, non formu­lée et non forma­li­sée, à une base de données infor­ma­ti­sée permet­tant d’extraire une quasi infi­nité de réponses aux ques­tions qui sont posées par les uns et par les autres.

En entre­pre­nant ce travail, je souhai­tais clari­fier quelques points qui me tenaient à cœur. Mon premier souci était de redon­ner, ou plus exac­te­ment de donner, la parole au patient. Le système de santé que nous connais­sons en France est tota­le­ment centré sur la mala­die. Or soigner, si ce n’est pas toujours guérir, devrait toujours avoir comme objec­tif et comme préoc­cu­pa­tion l’amélioration du malade, c’est-à-dire l’amélioration de sa qualité de vie, et la qualité de vie, loin s’en faut, ne se réduit pas à une dimen­sion stric­te­ment médi­cale. Elle est la résul­tante de l’interaction entre de multiples facteurs et je pense que le patient est le meilleur expert, et peut-​être le seul, en mesure d’apprécier véri­ta­ble­ment le niveau de sa qualité de vie. Cette dernière notion relève du concept, c’est-​à-​dire de la construc­tion intel­lec­tuelle. Elle peut éven­tuel­le­ment se mesu­rer. Elle ne doit pas être confon­due avec d’autres notions qui lui sont proches, certes, mais non réduc­tibles : l’état de santé, le bien-​être et le bonheur. L’état de santé relève du bilan « biolo­gique » et peut éven­tuel­le­ment s’apprécier de l’extérieur, au travers d’examens quan­ti­ta­tifs2. Le bien-​être, quant à lui, serait plutôt sensuel, du niveau de la jouis­sance, non formulé et non concep­tua­lisé, global ; le bonheur, lui, serait plutôt de l’ordre du méta­phy­sique, voire du philo­so­phique. A la carac­té­ris­tique pluri­fac­to­rielle de la qualité de vie devrait logi­que­ment corres­pondre une approche pluri­dis­ci­pli­naire de la prise en charge, seule capable de saisir le patient dans sa globa­lité3 et dans ses inter­ac­tions avec son envi­ron­ne­ment. La méde­cine scien­ti­fique « doit main­te­nant faire face à toute une série de mala­dies dégé­né­ra­tives et chro­niques, liées à l’allongement de la durée de la vie, pour lesquelles elle a peu de réponses effi­caces ». « […] on soigne des symp­tômes, des patho­lo­gies ou des organes. Les malades veulent être consi­dé­rés dans leur globa­lité […] en lien avec leur envi­ron­ne­ment. » Une révi­sion concep­tuelle en profon­deur s’impose donc, de toute urgence, à commen­cer par la redé­fi­ni­tion de la vie et de la mort4, de la qualité de vie, de ce qui est accep­table, négo­ciable, inad­mis­sible, souhai­table, possible, etc…. dans le domaine de la santé. En un mot il s’agit de défi­nir ou redé­fi­nir les contours d’« une méde­cine où le patient est au centre du débat ». Il se pour­rait bien que les résul­tats obte­nus et expo­sés dans ce dossier trouvent une part de leur expli­ca­tion dans cette problé­ma­tique de la santé que nos socié­tés indus­trielles « avan­cées » tentent péni­ble­ment de faire surgir, face à l’impuissance où elles se trouvent actuel­le­ment de répondre aux attentes de tous les patients poten­tiels. Toujours plus de tech­no­lo­gie, toujours plus de spécia­li­sa­tion, toujours plus cher pour un résul­tat de plus en plus contes­table. Est-​il possible de conti­nuer long­temps ainsi ? Est-​il possible de se limi­ter encore long­temps à l’absorption de quelques milli­grammes par jour de L. Dopa comme seul trai­te­ment de la mala­die de Parkin­son, alors que tant d’autres dimen­sions sont en attente d’une prise en charge effi­cace ? Et les accompagnants… ?! 

Pour une infor­ma­tion plus complète, je vous invite à consul­ter mon site : www.parkinsonien.fr
Vous y trou­ve­rez l’in­té­gra­lité de mon travail « Parkin­son et qualité de vie » où sont présen­tés, sous la forme de fasci­cules théma­tiques, les résul­tats de l’en­quête menée auprès de vous : malades et accom­pa­gnants, et les conclu­sions provi­soires, (mais ô combien instruc­tives !), que j’ai pu écha­fau­der… Les résul­tats sont parfois surpre­nants et toujours origi­naux, tant du point de vue métho­do­lo­gique que de l’ap­proche du cher­cheur à « double casquette » : un cher­cheur malade, un parkin­so­nien qui cherche… et qui trouve… parfois ! 

Bernard Compere

1Ceci n’est valable que pour le premier dossier de la série.
2Taux de glycé­mie, de choles­té­rol, etc. Radio­gra­phies, scan­ner, IRM, etc.
3Cf. par exemple « consi­dé­rer le malade dans sa globa­lité, corps et esprit » Dr. Thierry JANSSEN, in Science et avenir, N° 720, Février 2007, p. 53.
4« La vie, ce n’est pas les molé­cules, c’est les liens entre les molé­cules » Linus PAULING. Linus Carl Pauling est l’une des rares person­na­li­tés à avoir reçu deux prix Nobel : le prix Nobel de Chimie en 1954 et celui de la Paix en 1962. 

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  1. Cher Bernard,
    C’est avec un grand inté­rêt que j’ai lu votre article, votre propen­sion a recon­naître les déboires, la diffi­culté d’ac­cep­ta­tion, la mise en place des défenses et la juste colère que j’ap­pelle « une sainte colère » font que votre article, comme celui de Jean parle au coeur de celui qui en est affecté. Je suis passée par tous ces états, voulant donner comme vous un sens à cette réalité. J’ai émis des hypo­thèses, suggé­rée des prises de conscience…Et aujourd’­hui en lisant votre article je pense que les mots ont leur impor­tance et que nous avons besoin de rapports authentiques.

    De donner a Parkin­son une image non de dégé­né­res­cence, même si le terme est employé mais de géné­rer juste­ment une colère primaire celle du pour­quoi moi ? Et de ce pour­quoi moi pour­quoi pas moi et pour­quoi plutôt l’autre ?
    Et s’il s’agis­sait juste­ment de moi…

    Ce moi qui se confond avec les autres, ce moi qui n’ose pas vivre son désir, ce moi au fond qui n’exis­tait pas réel­le­ment quoi qu’on en pense.
    Un moi encore trop dans son moi.

    Je me suis rendue compte que malgré « toutes mes connais­sances » je parlais encore de moi. Alors aujourd’­hui je parle de moi mais pas du moi d’avant.

    Du moi éprouvé qui sait qu’un chemin ne se fait jamais seul.

    Que parta­ger son expé­rience est un cadeau qu’on peut parta­ger. Que chacun y puisera ce qui l’in­té­resse et tant mieux.
    Que parler de soi c’est invi­ter l’autre a parler de lui et ainsi, pour ceux qui le dési­rent échan­ger au plus profond de soi, de ses doutes et de ses lumières.

    Peut-​être qu’une fois la révolte passée, néces­saire. De comprendre mon besoin de m’iso­ler comme si je portais en moi une honte que la mala­die a révélé. Après toutes les stra­té­gies d’évi­te­ments vient le temps où simple­ment chaque matin j’ouvre une page blanche et je me laisse ensei­gner par l’ap­port de cette jour­née. Faire un commen­taire ou pas, me taire, pleu­rer ou rire mais accueillir…

    Accueillir mon désir celui d’ou­vrir ma page a toutes les rencontres et vivre ce que chacune m’offre comme joie où comme décep­tions, comme ce que moi je peux susci­ter chez l’autre aussi.

    Parkin­son ou pas c’est l’at­ti­tude envers moi et envers les autres qui a besoin d’être re-questionnée…Il me semble…

    Merci à vous.

    Bien amica­le­ment
    Louise

    Commentaire by Beyer — 17 juillet 2013 #

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