Ne pas être qu'un "patient" ...

Les dysphagies parkinsoniennes

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°56

En 2009, lors d’une réunion d’information orga­ni­sée à Paim­pol par l’APCA, Monsieur Hubert Colom­bel, ortho­pho­niste et psycho­mo­tri­cien a fait un exposé sur le fonc­tion­ne­ment, les troubles et la réédu­ca­tion de la déglu­ti­tion. Un résumé de cet exposé a fait l’objet d’un article dans le numéro 36 du Parkin­so­nien indé­pen­dant, sous le titre « Le mouve­ment du cormo­ran”. Compte tenu du nombre de patients concer­nés par ces troubles et aussi de certains acci­dents, il nous a paru impor­tant de reprendre cet article de 2009 et de le complé­ter en insis­tant sur le rôle essen­tiel des aidants et des person­nels de santé.

Rappe­lons quelques définitions : 

  • La déglu­ti­tion se défi­nit comme l’action par laquelle le bol alimen­taire est trans­féré de la bouche à l’estomac.
  • La dyspha­gie est une impres­sion de gêne ou de blocage ressen­tie au moment de l’alimentation lors du passage des aliments dans la bouche, le pharynx ou l’oesophage. Les dyspha­gies peuvent être dues à diffé­rentes patho­lo­gies (acci­dents vascu­laires céré­braux, cancer de la sphère ORL).

Dans ce qui suit, nous ne trai­te­rons que des dyspha­gies d’origine Parkinsonienne. 

1. Fonc­tion­ne­ment de la déglutition : 
Après une première démarche (parfois labo­rieuse pour le Parkin­so­nien) qui consiste à porter l’aliment vers la bouche, la déglu­ti­tion va se dérou­ler en 3 temps : 

  • le temps buccal (mouve­ments volontaires)
  • le temps pharyngé (mouve­ments réflexes)
  • le temps oeso­pha­gien (mouve­ments réflexes)

Le temps buccal 
Il est géré par le système pyra­mi­dal (les mouve­ments sont volon­taires). Ce temps buccal va se dérou­ler en plusieurs phases successives :

  • tout d’abord, une phase bila­biale pour saisir l’aliment par les lèvres et le porter au niveau des dents, ce qui suppose de bonnes mobi­lité et toni­cité des muscles des lèvres.
  • puis, une phase apicale (pointe de la langue ou apex). La langue fonc­tionne comme une « louche »,pour venir récu­pé­rer l’aliment derrière les dents et amor­cer le début de la forma­tion du bolus, en cher­chant à conden­ser l’aliment au niveau du palais. Cette action de louchage demande une bonne mobi­lité de la langue.
  • ensuite, une phase de masti­ca­tion. En fonc­tion de l’aliment, les mandi­bules sont mises en action pour écra­ser l’aliment, lui asso­cier de la salive et prépa­rer le bolus.
  • enfin, une phase de consti­tu­tion du bolus. Grâce à l’élévation de la langue au palais, et à la compres­sion en amont du bolus, une dépres­sion s’exerce à l’arrière ce qui prépare le temps pharyngé qui va suivre. Cette phase demande du tonus pour exer­cer cette pres­sion et déclen­cher le temps pharyngé.

Le temps pharyngé (réflexe)
Le dépla­ce­ment du bolus vers l’arrière de la bouche provoque une éléva­tion du voile du palais, ce qui évite le reflux naso­pha­ryngé en fermant l’accès aux voies nasales. Le temps pharyngé réflexe se déclenche lorsque le bolus arrive à la base de la langue. Le bolus est propulsé vers l’arrière par un coup de piston de la langue. Au même moment, se produit un mouve­ment d’ascension du larynx et un abais­se­ment de l’épiglotte pour empê­cher la fausse route de l’aliment vers la trachée. Simul­ta­né­ment, les sphinc­ters de l’oesophage se relachent pour permettre au bolus de glis­ser jusqu’à l’estomac.

Le temps oeso­pha­gien (réflexe)
Les muscles de l’oesophage se contractent, ce qui permet la descente du bolus vers l’estomac.

2. Les premiers indices d’une dysphagie :
L’aidant a un rôle très impor­tant dans la détec­tion d’une dyspha­gie débu­tante, par la surveillance et l’observation du patient.
Souvent, les premiers indices ne sont pas évidents à inter­pré­ter. Le patient mange plus lente­ment, limite ses rations alimen­taires, est vite rassa­sié, ce qui peut entrai­ner dénu­tri­tion, déshy­dra­ta­tion, perte de poids.
Et puis appa­raissent des signes plus spéci­fiques à la dyspha­gie et loca­li­sés dans la sphère ORL : toux, présence de bave (oreillers tachés au réveil), présence de débris alimen­taires dans la bouche en dehors des repas, rejet d’un comprimé un certain temps après la prise, mauvaise haleine etc… Il est alors grand temps de consul­ter un ortho­pho­niste qui a compé­tence pour trai­ter les troubles de la déglutition.

3. Les troubles de la déglu­ti­tion (Dyspha­gie)
La déglu­ti­tion fait appel à un ensemble de mouve­ments fins et complexes de la bouche, du pharynx et de l’oesophage. Une bonne déglu­ti­tion implique une parfaite synchro­ni­sa­tion entre le mouve­ment volon­taire et les mouve­ments réflexe. Chez le Parkin­so­nien, les troubles appa­raissent dès l’atteinte de la sphère bucco-​faciale (lèvres, bouche, pharynx.), dont les muscles perdent souplesse et toni­cité. Le Parkin­so­nien dyspha­gique peut être sujet : aux fausses routes, à des reflux, à l’hypersiallorrhée.

Les fausses routes
Dans ce cas, géné­ra­le­ment en raison d’un mauvais réflexe pharyngé, l’aliment au lieu d’emprunter la voie diges­tive vers l’oesophage., se dirige vers la voie respi­ra­toire de la trachée. Il est alors le plus souvent refoulé avec ou sans toux. Mais,dans le cas de patients grave­ment atteints, les fausses routes peuvent provo­quer des problèmes pulmo­naires de plus en plus graves, voire le décès par asphyxie.

Les reflux
Il s’agit soit de remon­tée du bol alimen­taire de l’estomac ou de l’oesophage, soit de reflux de débris alimen­taires à partir de cavi­tés laté­rales du pharynx. Ces reflux désa­gréables peuvent provo­quer une perte de poids , voire une déshydratation.

L’hypersiallorrhée
Elle est rare­ment due à un excès de salive par les glandes sali­vaires, mais le plus souvent à un trouble de déglu­ti­tion. Norma­le­ment, la salive produite régu­liè­re­ment est absor­bée auto­ma­ti­que­ment, à raison de 2000 fois par jour. En cas de non absorp­tion, la salive s’accumule dans la bouche et comme le patient a les lèvres entrou­vertes et la tête bais­sée, elle finit par débor­der et couler à la commis­sure des lèvres. C’est le « bavage ».
Les troubles de la déglu­ti­tion concernent envi­ron 50% de Parkin­so­niens. Envi­ron 90% de ces dyspha­giques ont une phase buccale pertur­bée. Plus de 90% n’arrivent pas à bien former le bolus et 30% ont tendance à avoir des fuites de liquide au niveau des lèvres. 80% ont tendance au bavage.

4. Réédu­ca­tion de la déglutition
Compte tenu des risques dus aux troubles de la déglu­ti­tion, la réédu­ca­tion chez un ortho­pho­niste est néces­saire et cela le plus tôt possible. Or actuel­le­ment, 5% des dyspha­giques seule­ment béné­fi­cie­raient d’une réédu­ca­tion. Le rôle de l’orthophoniste consiste à : établir pour le patient un bilan de la deglu­ti­tion, propo­ser une démarche théra­peu­tique, propo­ser des exer­cices de rééducation.

Bilan de la déglutition
Pour établir le bilan, l’orthophoniste utili­sera tout d’abord les infor­ma­tions four­nies par le patient sur ses diffi­cul­tés (problèmes gestuels, fausses routes, la manière d’organiser ses repas, etc…). Ensuite, il procé­dera à un examen clinique pour savoir comment le patient déglu­tit les liquides, les semi liquides et les solides, en notant la posture, la coor­di­na­tion des diffé­rentes phases de la deglu­ti­tion. Enfin il pourra prendre en compte des infor­ma­tions médi­cales, comme celles four­nies par un examen par fibro­sco­pie. Cet examen est indis­pen­sable pour détec­ter certaines fausses routes souvent silen­cieuses et peut four­nir des infor­ma­tions précieuses sur le dérou­le­ment des diffé­rentes phases de la déglu­ti­tion. La ciné­ra­dio­gra­phie et la mano­mé­trie permet­tront aussi, si néces­saire, de préci­ser le bilan. 

Démarche théra­peu­tique :
L’orthophoniste pourra alors enga­ger une démarche théra­peu­tique. Il pourra, avec le patient, mettre le doigt sur le dysfonc­tion­ne­ment, expli­quer le proces­sus de déglu­ti­tion verba­le­ment et à l’aide de repré­sen­ta­tions visuelles (dessins, photos, vidéos), lui donner des conseils pour l’organisation des repas, le compor­te­ment à table, ainsi que pour le choix des aliments, travailler la percep­tion et la réali­sa­tion des schèmes moteurs de la déglu­ti­tion à partir d’exercices person­na­li­sés. Par exemple, on pourra solli­ci­ter une réac­tion réflexe des phases pharyn­gée et oeso­pha­gienne, prépa­rer des exer­cices à réali­ser fréquem­ment à domicile.
Exemple d’exercice : le mouve­ment du cormoran
Voici un exer­cice proposé en consul­ta­tion par Mr Colom­bel à ses patients dyspha­giques et qu’il leur conseille de faire à domi­cile Mr Colom­bel a présenté une vidéo pour expli­quer les mouve­ments qu’il a ensuite mimés devant l’assistance. L’exercice a pour but, une fois le bolus correc­te­ment consti­tué, de favo­ri­ser le déclen­che­ment du réflexe pharyngé. Les diffé­rents gestes sont les suivants :

Inspi­ra­tion : blocage respi­ra­toire (pour stimu­ler la ferme­ture des voies respi­ra­toires) pres­sion spon­ta­née et forte du milieu de la langue sur le milieu du palais, menton légè­re­ment fléchi, nuque étirée, épaules basses, tronc verti­cal, pieds à plat.

secousse éven­tuelle de la tête au moment où la phase pharen­gée s’ins­talle en rele­vant le menton, et en le rabais­sant ensuite pour dyna­mi­ser l’action réflexe. C’est le « mouve­ment du cormo­ran », qui s’apparente à celui de l’oiseau marin, lorsqu’il ingur­gite un gros poisson.

toux accom­pa­gnant l’expiration pour dyna­mi­ser le mouve­ment. Le patient pourra orien­ter la tête en fonc­tion de sensa­tion de présence de rési­dus alimen­taires et tous­ser deux à trois fois avant le bolus suivant. 

Cet exer­cice répété au domi­cile, aussi bien pendant que hors des repas doit amélio­rer le déclen­che­ment du réflexe pharyngé et doit être prati­qué en cas de risque de fausse route. Enfin, à partir de son expé­rience de psycho­mo­tri­cien, Mr Colom­beI recom­mande le mouve­ment du cormo­ran aux dyspha­giques sujets au « bavage », la répé­ti­tion de l’exercice pouvant permettre de retrou­ver le réflexe (mémoire procédurale). 

5. Les repas et l’alimentation du dysphagique
Si malgré les séances de réédu­cac­tion, les troubles persistent ou ne sont pas assez atté­nués (c’est malheu­reu­se­ment le cas des patients à des stades évolués de la mala­die), il faudra prendre des dispo­si­tions parti­cu­lières pour aider ou faire manger et boire ces patients. Au moment des repas, le patient devra être assis bien droit sur son siège.au calme. Il ne faut pas le faire parler. Par contre, on lui deman­dera de bais­ser la tête vers l’avant avant d’avaler. L’alimentation sera adap­tée à la gravité des troubles de déglu­ti­tion. L’idée est d’épaissir les aliments pour faci­li­ter le passage dans l’oesophage. Les aliments solides seront hachés et on utili­sera de l’eau gélifiée.

6. Au secours !
Malgré le suivi strict des mesures préven­tives, le patient peut être victime d’une crise d’etouffement. Comment agir en cas d’urgence ? A cette ques­tion, nous repren­drons telles quelles les réponses faites dans le numéro 5 de la revue Acti­soins par Débo­rah Fradin. Deux cas peuvent se présen­ter :

  • Dans le 1er cas, la victime ne peut plus parler, ne peut pas crier, ne peut pas respi­rer ou très bruyam­ment. Très fréquem­ment, elle porte les mains à la gorge et a la bouche ouverte. Dans ce cas, l’obstruction est grave car les voies aériennes sont obstruées tota­le­ment ou presque tota­le­ment. Si aucun geste de secours n’est effec­tué, le décès survien­dra au bout de quelques minutes.

    Conduite à tenir : Lais­ser la victime dans la posi­tion dans laquelle elle se trouve : assise ou debout. Donner à la victime cinq claques vigou­reuses dans le dos (au maxi­mum). Ces claques doivent être effec­tuées avec le plat de la main, entre les omoplates de la victime, son buste penché légè­re­ment en avant. Le but de ces claques est de déblo­quer et d’expulser le corps étran­ger en provo­quant un mouve­ment de toux qui obstrue les voies aériennes. La désobs­truc­tion des voies aériennes est signée par une reprise de la venti­la­tion, l’apparition de toux et l’expulsion du corps étranger

    En cas d’inefficacité, réali­ser cinq compres­sions abdo­mi­nales (au maxi­mum), d’après la méthode de Heim­lich, dans le but de compri­mer l’air contenu dans les poumons et, comme pour le piston d’une seringue, d’expulser le corps étran­ger qui obstrue les voies aériennes. Pour cela, se placer derrière la victime, à une hauteur confor­table pour pouvoir passer ses bras hori­zon­ta­le­ment sous les bras de la victime puis mettre le poing au creux de son esto­mac, sous l’appendice xiphoïde, placer sa seconde main sur son poing, puis, sans s’appuyer sur les côtes, effec­tuer un mouve­ment vers soi et vers le haut. Pendant cette manœuvre, la victime sera légè­re­ment penchée en avant, afin de visua­li­ser l’expulsion du corps étran­ger et de stop­per la manœuvre dès que ce sera le cas.

    Il convien­dra, en cas d’échec, de renou­ve­ler les claques dans le dos. Si l’expulsion est impos­sible, l’état de la victime se dégra­dera et les gestes de secou­risme seront à adap­ter (réani­ma­tion cardio-pulmonaire).

  • Dans le second cas, la victime peut encore venti­ler, l’air passe, l’obstruction est partielle. Aucun geste spéci­fique ne sera à effec­tuer : instal­ler la victime en posi­tion assise et encou­ra­ger la toux. Les grands prin­cipes de secou­risme restent toujours de mise : appel à l’aide, faire venir le chariot d’urgence, oxygé­ner si besoin et, quelque soit le cas, un avis médi­cal est obli­ga­toire par un méde­cin sur les lieux ou via le 15.

    Dans une salle de réfec­toire, dans une chambre, l’urgence respi­ra­toire majeure de cette obstruc­tion totale par corps étran­ger justi­fie deux gestes de sauve­tage que l’ensemble des profes­sion­nels de santé devrait connaître : les claques dans le dos et la manœuvre de Heimlich.

En conclu­sion, on retien­dra le souhait de Madame Débo­rah Fradin que les deux gestes de sauve­tage (les claques dans le dos et la manœuvre de Heim­lich soient connus de l’ensemble des profes­sion­nels de santé). Cela devrait aussi s’appliquer à tout aidant ayant en charge un Parkin­so­nien dysphagique.

Biblio­gra­phie :
Débo­rah Fradin Les troubles de déglu­ti­tion du sujet âgé
(Actu­soins de Juin 2012)
Rédigé par Jean Pierre Lagadec

3 Commentaires Cliquer ici pour laisser un commentaire

  1. Pendant une période de cette foutue mala­die parkin­so­nienne le problème de ma déglu­ti­tion s’est faite ressen­tir et j’avais remar­qué ; de me concen­trer sur ma bouchée avant d’ava­ler, sans écou­ter ni la radio ni un convive pas plus mon épouse, certe peu convi­vial , cela m’a évité les fausses routes. Comme un entraî­ne­ment les muscles ont été obligé de se réadap­ter, comme une réédu­ca­tion. Main­te­nant je suis sorti de tous ces effets secondaires.

    Commentaire by Chatenay — 15 février 2019 #

  2. bonjour,
    je suis forma­teur en école d’aides-​soignant à Lorient et je peux vous rassu­rer : tous les profes­sion­nels de santé sont titu­laires d’une attes­ta­tion de forma­tion aux gestes et soins d’urgence de niveau 2 (AFGSU2) qui leur apprends à prendre en charge les victimes des fausses routes avec les gestes adap­tés (claques dans le dos et manœuvre Heimlich)

    Commentaire by urli — 14 février 2019 #

  3. […] Les dyspha­gies parkinsoniennes […]

    Ping by DÉGLUTITION ET DYSPHAGIES | ASSOPARK 45 — 10 février 2015 #

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