Les dysphagies parkinsoniennes
Publié le 31 mars 2014 à 10:23Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°56
En 2009, lors d’une réunion d’information organisée à Paimpol par l’APCA, Monsieur Hubert Colombel, orthophoniste et psychomotricien a fait un exposé sur le fonctionnement, les troubles et la rééducation de la déglutition. Un résumé de cet exposé a fait l’objet d’un article dans le numéro 36 du Parkinsonien indépendant, sous le titre « Le mouvement du cormoran”. Compte tenu du nombre de patients concernés par ces troubles et aussi de certains accidents, il nous a paru important de reprendre cet article de 2009 et de le compléter en insistant sur le rôle essentiel des aidants et des personnels de santé.
Rappelons quelques définitions :
- La déglutition se définit comme l’action par laquelle le bol alimentaire est transféré de la bouche à l’estomac.
- La dysphagie est une impression de gêne ou de blocage ressentie au moment de l’alimentation lors du passage des aliments dans la bouche, le pharynx ou l’oesophage. Les dysphagies peuvent être dues à différentes pathologies (accidents vasculaires cérébraux, cancer de la sphère ORL).
Dans ce qui suit, nous ne traiterons que des dysphagies d’origine Parkinsonienne.
1. Fonctionnement de la déglutition :
Après une première démarche (parfois laborieuse pour le Parkinsonien) qui consiste à porter l’aliment vers la bouche, la déglutition va se dérouler en 3 temps :
- le temps buccal (mouvements volontaires)
- le temps pharyngé (mouvements réflexes)
- le temps oesophagien (mouvements réflexes)
Le temps buccal
Il est géré par le système pyramidal (les mouvements sont volontaires). Ce temps buccal va se dérouler en plusieurs phases successives :
- tout d’abord, une phase bilabiale pour saisir l’aliment par les lèvres et le porter au niveau des dents, ce qui suppose de bonnes mobilité et tonicité des muscles des lèvres.
- puis, une phase apicale (pointe de la langue ou apex). La langue fonctionne comme une « louche »,pour venir récupérer l’aliment derrière les dents et amorcer le début de la formation du bolus, en cherchant à condenser l’aliment au niveau du palais. Cette action de louchage demande une bonne mobilité de la langue.
- ensuite, une phase de mastication. En fonction de l’aliment, les mandibules sont mises en action pour écraser l’aliment, lui associer de la salive et préparer le bolus.
- enfin, une phase de constitution du bolus. Grâce à l’élévation de la langue au palais, et à la compression en amont du bolus, une dépression s’exerce à l’arrière ce qui prépare le temps pharyngé qui va suivre. Cette phase demande du tonus pour exercer cette pression et déclencher le temps pharyngé.
Le temps pharyngé (réflexe)
Le déplacement du bolus vers l’arrière de la bouche provoque une élévation du voile du palais, ce qui évite le reflux nasopharyngé en fermant l’accès aux voies nasales. Le temps pharyngé réflexe se déclenche lorsque le bolus arrive à la base de la langue. Le bolus est propulsé vers l’arrière par un coup de piston de la langue. Au même moment, se produit un mouvement d’ascension du larynx et un abaissement de l’épiglotte pour empêcher la fausse route de l’aliment vers la trachée. Simultanément, les sphincters de l’oesophage se relachent pour permettre au bolus de glisser jusqu’à l’estomac.
Le temps oesophagien (réflexe)
Les muscles de l’oesophage se contractent, ce qui permet la descente du bolus vers l’estomac.
2. Les premiers indices d’une dysphagie :
L’aidant a un rôle très important dans la détection d’une dysphagie débutante, par la surveillance et l’observation du patient.
Souvent, les premiers indices ne sont pas évidents à interpréter. Le patient mange plus lentement, limite ses rations alimentaires, est vite rassasié, ce qui peut entrainer dénutrition, déshydratation, perte de poids.
Et puis apparaissent des signes plus spécifiques à la dysphagie et localisés dans la sphère ORL : toux, présence de bave (oreillers tachés au réveil), présence de débris alimentaires dans la bouche en dehors des repas, rejet d’un comprimé un certain temps après la prise, mauvaise haleine etc… Il est alors grand temps de consulter un orthophoniste qui a compétence pour traiter les troubles de la déglutition.
3. Les troubles de la déglutition (Dysphagie)
La déglutition fait appel à un ensemble de mouvements fins et complexes de la bouche, du pharynx et de l’oesophage. Une bonne déglutition implique une parfaite synchronisation entre le mouvement volontaire et les mouvements réflexe. Chez le Parkinsonien, les troubles apparaissent dès l’atteinte de la sphère bucco-faciale (lèvres, bouche, pharynx.), dont les muscles perdent souplesse et tonicité. Le Parkinsonien dysphagique peut être sujet : aux fausses routes, à des reflux, à l’hypersiallorrhée.
Les fausses routes
Dans ce cas, généralement en raison d’un mauvais réflexe pharyngé, l’aliment au lieu d’emprunter la voie digestive vers l’oesophage., se dirige vers la voie respiratoire de la trachée. Il est alors le plus souvent refoulé avec ou sans toux. Mais,dans le cas de patients gravement atteints, les fausses routes peuvent provoquer des problèmes pulmonaires de plus en plus graves, voire le décès par asphyxie.
Les reflux
Il s’agit soit de remontée du bol alimentaire de l’estomac ou de l’oesophage, soit de reflux de débris alimentaires à partir de cavités latérales du pharynx. Ces reflux désagréables peuvent provoquer une perte de poids , voire une déshydratation.
L’hypersiallorrhée
Elle est rarement due à un excès de salive par les glandes salivaires, mais le plus souvent à un trouble de déglutition. Normalement, la salive produite régulièrement est absorbée automatiquement, à raison de 2000 fois par jour. En cas de non absorption, la salive s’accumule dans la bouche et comme le patient a les lèvres entrouvertes et la tête baissée, elle finit par déborder et couler à la commissure des lèvres. C’est le « bavage ».
Les troubles de la déglutition concernent environ 50% de Parkinsoniens. Environ 90% de ces dysphagiques ont une phase buccale perturbée. Plus de 90% n’arrivent pas à bien former le bolus et 30% ont tendance à avoir des fuites de liquide au niveau des lèvres. 80% ont tendance au bavage.
4. Rééducation de la déglutition
Compte tenu des risques dus aux troubles de la déglutition, la rééducation chez un orthophoniste est nécessaire et cela le plus tôt possible. Or actuellement, 5% des dysphagiques seulement bénéficieraient d’une rééducation. Le rôle de l’orthophoniste consiste à : établir pour le patient un bilan de la deglutition, proposer une démarche thérapeutique, proposer des exercices de rééducation.
Bilan de la déglutition
Pour établir le bilan, l’orthophoniste utilisera tout d’abord les informations fournies par le patient sur ses difficultés (problèmes gestuels, fausses routes, la manière d’organiser ses repas, etc…). Ensuite, il procédera à un examen clinique pour savoir comment le patient déglutit les liquides, les semi liquides et les solides, en notant la posture, la coordination des différentes phases de la deglutition. Enfin il pourra prendre en compte des informations médicales, comme celles fournies par un examen par fibroscopie. Cet examen est indispensable pour détecter certaines fausses routes souvent silencieuses et peut fournir des informations précieuses sur le déroulement des différentes phases de la déglutition. La cinéradiographie et la manométrie permettront aussi, si nécessaire, de préciser le bilan.
Démarche thérapeutique :
L’orthophoniste pourra alors engager une démarche thérapeutique. Il pourra, avec le patient, mettre le doigt sur le dysfonctionnement, expliquer le processus de déglutition verbalement et à l’aide de représentations visuelles (dessins, photos, vidéos), lui donner des conseils pour l’organisation des repas, le comportement à table, ainsi que pour le choix des aliments, travailler la perception et la réalisation des schèmes moteurs de la déglutition à partir d’exercices personnalisés. Par exemple, on pourra solliciter une réaction réflexe des phases pharyngée et oesophagienne, préparer des exercices à réaliser fréquemment à domicile.
Exemple d’exercice : le mouvement du cormoran
Voici un exercice proposé en consultation par Mr Colombel à ses patients dysphagiques et qu’il leur conseille de faire à domicile Mr Colombel a présenté une vidéo pour expliquer les mouvements qu’il a ensuite mimés devant l’assistance. L’exercice a pour but, une fois le bolus correctement constitué, de favoriser le déclenchement du réflexe pharyngé. Les différents gestes sont les suivants :
Inspiration : blocage respiratoire (pour stimuler la fermeture des voies respiratoires) pression spontanée et forte du milieu de la langue sur le milieu du palais, menton légèrement fléchi, nuque étirée, épaules basses, tronc vertical, pieds à plat.
secousse éventuelle de la tête au moment où la phase pharengée s’installe en relevant le menton, et en le rabaissant ensuite pour dynamiser l’action réflexe. C’est le « mouvement du cormoran », qui s’apparente à celui de l’oiseau marin, lorsqu’il ingurgite un gros poisson.
toux accompagnant l’expiration pour dynamiser le mouvement. Le patient pourra orienter la tête en fonction de sensation de présence de résidus alimentaires et tousser deux à trois fois avant le bolus suivant.
Cet exercice répété au domicile, aussi bien pendant que hors des repas doit améliorer le déclenchement du réflexe pharyngé et doit être pratiqué en cas de risque de fausse route. Enfin, à partir de son expérience de psychomotricien, Mr ColombeI recommande le mouvement du cormoran aux dysphagiques sujets au « bavage », la répétition de l’exercice pouvant permettre de retrouver le réflexe (mémoire procédurale).
5. Les repas et l’alimentation du dysphagique
Si malgré les séances de rééducaction, les troubles persistent ou ne sont pas assez atténués (c’est malheureusement le cas des patients à des stades évolués de la maladie), il faudra prendre des dispositions particulières pour aider ou faire manger et boire ces patients. Au moment des repas, le patient devra être assis bien droit sur son siège.au calme. Il ne faut pas le faire parler. Par contre, on lui demandera de baisser la tête vers l’avant avant d’avaler. L’alimentation sera adaptée à la gravité des troubles de déglutition. L’idée est d’épaissir les aliments pour faciliter le passage dans l’oesophage. Les aliments solides seront hachés et on utilisera de l’eau gélifiée.
6. Au secours !
Malgré le suivi strict des mesures préventives, le patient peut être victime d’une crise d’etouffement. Comment agir en cas d’urgence ? A cette question, nous reprendrons telles quelles les réponses faites dans le numéro 5 de la revue Actisoins par Déborah Fradin. Deux cas peuvent se présenter :
- Dans le 1er cas, la victime ne peut plus parler, ne peut pas crier, ne peut pas respirer ou très bruyamment. Très fréquemment, elle porte les mains à la gorge et a la bouche ouverte. Dans ce cas, l’obstruction est grave car les voies aériennes sont obstruées totalement ou presque totalement. Si aucun geste de secours n’est effectué, le décès surviendra au bout de quelques minutes.
Conduite à tenir : Laisser la victime dans la position dans laquelle elle se trouve : assise ou debout. Donner à la victime cinq claques vigoureuses dans le dos (au maximum). Ces claques doivent être effectuées avec le plat de la main, entre les omoplates de la victime, son buste penché légèrement en avant. Le but de ces claques est de débloquer et d’expulser le corps étranger en provoquant un mouvement de toux qui obstrue les voies aériennes. La désobstruction des voies aériennes est signée par une reprise de la ventilation, l’apparition de toux et l’expulsion du corps étranger
En cas d’inefficacité, réaliser cinq compressions abdominales (au maximum), d’après la méthode de Heimlich, dans le but de comprimer l’air contenu dans les poumons et, comme pour le piston d’une seringue, d’expulser le corps étranger qui obstrue les voies aériennes. Pour cela, se placer derrière la victime, à une hauteur confortable pour pouvoir passer ses bras horizontalement sous les bras de la victime puis mettre le poing au creux de son estomac, sous l’appendice xiphoïde, placer sa seconde main sur son poing, puis, sans s’appuyer sur les côtes, effectuer un mouvement vers soi et vers le haut. Pendant cette manœuvre, la victime sera légèrement penchée en avant, afin de visualiser l’expulsion du corps étranger et de stopper la manœuvre dès que ce sera le cas.
Il conviendra, en cas d’échec, de renouveler les claques dans le dos. Si l’expulsion est impossible, l’état de la victime se dégradera et les gestes de secourisme seront à adapter (réanimation cardio-pulmonaire).
- Dans le second cas, la victime peut encore ventiler, l’air passe, l’obstruction est partielle. Aucun geste spécifique ne sera à effectuer : installer la victime en position assise et encourager la toux. Les grands principes de secourisme restent toujours de mise : appel à l’aide, faire venir le chariot d’urgence, oxygéner si besoin et, quelque soit le cas, un avis médical est obligatoire par un médecin sur les lieux ou via le 15.
Dans une salle de réfectoire, dans une chambre, l’urgence respiratoire majeure de cette obstruction totale par corps étranger justifie deux gestes de sauvetage que l’ensemble des professionnels de santé devrait connaître : les claques dans le dos et la manœuvre de Heimlich.
En conclusion, on retiendra le souhait de Madame Déborah Fradin que les deux gestes de sauvetage (les claques dans le dos et la manœuvre de Heimlich soient connus de l’ensemble des professionnels de santé). Cela devrait aussi s’appliquer à tout aidant ayant en charge un Parkinsonien dysphagique.
Bibliographie :
Déborah Fradin Les troubles de déglutition du sujet âgé
(Actusoins de Juin 2012)
Rédigé par Jean Pierre Lagadec
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Pendant une période de cette foutue maladie parkinsonienne le problème de ma déglutition s’est faite ressentir et j’avais remarqué ; de me concentrer sur ma bouchée avant d’avaler, sans écouter ni la radio ni un convive pas plus mon épouse, certe peu convivial , cela m’a évité les fausses routes. Comme un entraînement les muscles ont été obligé de se réadapter, comme une rééducation. Maintenant je suis sorti de tous ces effets secondaires.
Commentaire by Chatenay — 15 février 2019 #
bonjour,
je suis formateur en école d’aides-soignant à Lorient et je peux vous rassurer : tous les professionnels de santé sont titulaires d’une attestation de formation aux gestes et soins d’urgence de niveau 2 (AFGSU2) qui leur apprends à prendre en charge les victimes des fausses routes avec les gestes adaptés (claques dans le dos et manœuvre Heimlich)
Commentaire by urli — 14 février 2019 #
[…] Les dysphagies parkinsoniennes […]
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