Témoignage : Vivre avec un proche malade sans culpabiliser
Publié le 21 septembre 2010 à 11:26Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°42 – septembre 2010
Quand un parent, un ami tombe malade, nous ne trouvons pas toujours les mots ni les gestes, hésitant entre le trop et le pas assez. D’où vient ce sentiment de culpabilité qui, souvent, nous envahit ? Et comment le surmonter ?
Dans une relation d’aide, il suffit souvent de rester dans le lien qui a toujours existé, à l’écoute des attentes.
Jacques n’ose plus téléphoner à son meilleur ami qui est en chimiothérapie, paralysé par la peur et par la culpabilité d’être en bonne santé. Olivia est persuadée que son départ de la maison pour suivre des études à Paris a déclenché l’anorexie de sa petite sœur Salomé. Raphaël pense être un monstre parce qu’il ne désire plus sa femme, mutilée par un cancer du sein.
La confrontation avec la maladie d’un proche nous réduit à une certaine impuissance et, parfois, à l’auto-accusation. Nous aimerions nous comporter en héros, mais nous nous heurtons à nos propres limites. « Certains, comme Jacques, vont se tenir à distance, préférant la fuite et peut-être le confort personnel pour se protéger, explique Christophe Fauré, psychiatre spécialisé dans l’accompagnement des malades et de leur famille. D’autres fonceront tête baissée, s’investissant corps et âme, jusqu’à sacrifier leur vie de famille et s’interdire tout droit au bonheur. »
Comprendre les ressorts de sa culpabilité
« Il faut du temps pour trouver la bonne place auprès d’un malade, il est rare qu’elle s’impose d’emblée », constate isabelle Moley-Massol(1)), médecin, psychanalyste et psycho-oncologue à l’hôpital Cochin, à Paris. Résultat, nous nous sentons coupable de tout : d’être en bonne santé, de ne pas être présent, de prendre la fuite… Et de ne pas savoir comment réagir : faire comme si de rien n’était, pour ne pas en rajouter, au risque de passer pour un égoïste ? Ou changer la nature de notre relation parce que l’autre est malade ?
« Ce questionnement renvoie au type de lien qui existait avant la maladie », analyse Isabelle Moley-Massol. « Mais, plus important, la maladie de l’autre nous renvoie à la peur inconsciente de notre propre fin. Tout est miroir, tout se réfléchit. Nous voudrions protéger notre ami malade, tout en nous préservant. II y a confusion de sentiments forcément ambivalents, entre amour et haine, protection et agressivité envers ce proche que l’on voudrait aider, mais qui nous blesse aussi parfois en utilisant sa souffrance pour alimenter notre culpabilité. Le risque étant de se perdre, de perdre ses repères, ses croyances, ses certitudes ».
« Des pensées de type rumination peuvent saturer la conscience, créant un état de chaos peu propice à la réflexion », renchérit la sophrologue Laurence Roux-Fouillet. « Il en résulte souvent un épuisement psychique, proche de la dépression ». Crises d’angoisse, boulimie, spasmophilie, problèmes de peau peuvent apparaître alors. Les coupables ? « Les fautes imaginaires et les responsabilités exagérées dont nous nous chargeons trop souvent », estime Yves-Alexandre Thalmann, psychologue.
Si, dans un premier temps, accueillir la culpabilité et la mettre en mots est nécessaire, cela reste insuffisant pour s’en débarrasser. « Chacun doit comprendre qu’il ne peut en aucun cas être responsable du malheur des autres », ajoute le psychologue. « Découvrir que notre culpabilité et le pouvoir que nous croyons avoir sur autrui sont les deux faces d’une même réalité est le premier pas sur le chemin du mieux-être. Pour cesser de se culpabiliser, il faut d’abord renoncer à sa toute-puissance et cerner avec précision les limites de sa responsabilité. »
Plus facile à dire qu’à faire ? Sans doute, mais mieux vaut ne pas trop tarder, en se faisant aider si nécessaire.
Réussir à poser des limites
« La culpabilité peut devenir la chose la plus toxique qui soit », remarque Christophe Fauré, « car elle nous empêche d’être présent à l’autre. Que nous dit-elle ? De qui nous parle-t-elle, si ce n’est de nous-même ? À un moment, il y a une décision à prendre dans son cœur : où dois-je mettre la priorité ? Dans la relation avec ce proche qui souffre ou dans mes états d’âme ? Ce qui sous-entend : ce proche, est-ce que je l’aime vraiment ? »
Pour Isabelle Moley-Massol, « la culpabilité peut ronger, et finalement créer une distance entre le proche et le malade ». Bien souvent, ce dernier n’attend pas des choses extraordinaires, simplement de rester dans le lien qui a toujours existé. Il s’agit alors d’être dans l’empathie, à l’écoute de ses attentes. Certains voudront évoquer leur maladie, d’autres préféreront parler d’autre chose. L’important est de ne pas anticiper ce que l’on croit bon ou mauvais pour lui, en sachant poser des limites pour ne pas s’épuiser. Laurence Roux-Fouillet propose ainsi de « passer des minicontrats pour alléger sa culpabilité : remplacer cette souffrance par une action, ou compenser sans tomber dans le sacrifice ».
Accepter d’y trouver son compte
« En choisissant d’accompagner l’autre, il est préférable de garder à l’esprit que nous nous engageons dans la durée », insiste Françoise Bessis, psychiatre et psychanalyste au Centre Pierre-Cazenave (psychisme et cancer), à Paris. Pour des mois, voire des années. Ce qui ne se fera pas sans mal. « Afin de faire barrage à la lassitude, à l’épuisement, voire au ‘burn out’, l’aidant doit y trouver son compte » », recommande-t-elle. C’est ce qu’a réussi Agnès, qui a « retrouvé » sa mère, atteinte d’un cancer, en l’accompagnant jusqu’au bout. En partageant parfois juste un silence ou un regard, elles ont réparé des années de malentendus. Aujourd’hui, malgré son chagrin, Agnès a trouvé la paix. Un bénéfice secondaire, qui, pour Christophe Fauré, renvoie à la notion bouddhiste des deux bienfaits : « Pour qu’une relation soit juste, il faut que le bien fait à la personne aidée devienne notre propre bienfait. Ce qui suppose qu’il doit y avoir, pour la personne aidante, une gratification. C’est ce qui permettra à la relation d’aide d’être saine. Sinon, on est dans la logique du sacrifice ». Sacrifice qui est « générateur d’agressivité, de haine, de violence parfois envers le malade, et qui mène droit à l’échec », alerte Françoise Bessis.
(1)Isabelle Moley-Massol, auteure du Malade, la Maladie et les Proches (L’Archipel, 2009).
Des Livres :
Vivre ensemble la maladie d’un proche de Christophe Fauré (Albin Michel, 2002)
Au diable la culpabilité ! d’Yves-Alexandre Thalmann (Jouvence Editions, 2005)
Céline DUFRANC D’après le « Télégramme » du 28 Avril 2010.
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