Ne pas être qu'un "patient" ...

Bilan des deux boursières soutenues par CECAP (2/​2)

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°55

Bilan de Julie Meffre : Rôle du Noyau Subtha­la­mique dans la Prise de Décision 

A — PROJET DE RECHERCHE
1. Contexte de l’étude
Alors que la mala­die de Parkin­son a été long­temps abor­dée sur la base de ses symp­tômes moteurs, les troubles non moteurs qui lui sont asso­ciés font, depuis quelques années seule­ment, l’objet de recherches plus appro­fon­dies. La stimu­la­tion à haute fréquence (SHF) du noyau subtha­la­mique (NST), utili­sée avec succès pour trai­ter les troubles moteurs, peut cepen­dant être à l’origine d’effets secon­daires cogni­tifs comme un compor­te­ment impul­sif ou risqué (tendance au jeu patho­lo­gique) chez certains patients. Il a été mis en évidence que la SHF altère la capa­cité à « frei­ner » la prise de déci­sion face à une situa­tion conflic­tuelle, condui­sant les patients à prendre une déci­sion hâtive et impul­sive (Frank et al. 2007). Parmi les ganglions de la base, le NST semble être impli­qué dans le contrôle de l’impulsivité/inhibition compor­te­men­tale (Frank 2006 ; Eagle and Baunez 2010). La voie hyper­di­recte, reliant les aires corti­cales fron­tales au NST pour­rait être à l’origine de la régu­la­tion des proces­sus déci­sion­nels. Le NST semble agir en élevant le seuil de déci­sion dans le cas d’une situa­tion conflic­tuelle ou ambi­guë, condui­sant ainsi à diffé­rer la prise de déci­sion, jusqu’à ce que suffi­sam­ment d’indices aient été accumulés.

2. But de l’étude
Afin de pouvoir amélio­rer l’anticipation d’éventuels effets secon­daires de la stimu­la­tion à haute fréquence du NST sur la prise de déci­sion chez les patients parkin­so­niens, il est indis­pen­sable de bien comprendre le rôle de cette struc­ture dans les proces­sus déci­sion­nels. L’objectif de notre travail de recherche, soutenu par la CECAP, a été de déter­mi­ner chez le rat 

  1. comment le NST contri­bue à la prise de déci­sion grâce à une approche compor­te­men­tale réali­sée chez des rats intacts versus des rats ayant subit une lésion du NST (mimant l’effet de la SHF du NST utili­sée chez le patient parkinsonien)
  2. quelle est l’influence du système dopa­mi­ner­gique dans ce proces­sus, et 
  3. le poten­tiel théra­peu­tique d’un trai­te­ment visant le système séro­to­ni­ner­gique, système impli­qué dans l’inhibition comportementale.

3. Procé­dures expé­ri­men­tales utilisées
Animaux : 10 rats mâles Long Evans, main­te­nus dans un cycle 12h jour/​nuit, ont été utili­sés pour ces expé­riences. Ils ont été soumis à une restric­tion alimen­taire, avec un accès à 85% de leur ration quoti­dienne. L’eau était acces­sible ad libi­tum.

Expé­rience : Mesure de la prise de déci­sion impli­quant l’évaluation d’un risque (en terme de proba­bi­lité de gain)
Les animaux sont placés dans une boîte opérante compor­tant trois leviers. Au démar­rage de l’essai, seul le levier central est sorti, et les rats ont été entraî­nés à main­te­nir leur patte sur le levier central pendant une durée fixe de 1 seconde. 400 ms après le début de l’appui et pendant 600 ms, une combi­nai­son de deux lumières s’allume au-​dessus des leviers et indique quelle sera la proba­bi­lité d’obtenir 0.1 ml de sucrose 32% en cas de choix du levier corres­pon­dant à la récom­pense en grande quan­tité mais incer­taine. Au bout de 600 ms, un signal sonore reten­tit, indi­quant la possi­bi­lité d’aller appuyer sur le levier de gauche ou de droite, au choix, afin d’obtenir une récom­pense (0.05 ml de sucrose 32 % toujours déli­vré ou 0.1 ml sucrose 32 % déli­vré avec une proba­bi­lité variable et indi­cée, respectivement).
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Trois combi­nai­sons de deux lumières sont possibles, aléa­toi­re­ment. Il existe trois spots lumi­neux situés au-​dessus des leviers :

- Si la lumière de gauche et la lumière de droite s’allument, la proba­bi­lité d’obtenir 0.1 ml de sucrose 32 % en choi­sis­sant le levier de droite est de 100 %.

- Si la lumière de gauche et la lumière centrale s’allument, la proba­bi­lité d’obtenir 0.1 ml de sucrose 32 % en choi­sis­sant le levier de droite est de 50 %.

- Si la lumière de droite et la lumière centrale s’allument, la proba­bi­lité d’obtenir 0.1 ml de sucrose 32 % en choi­sis­sant le levier de droite est de 0 %.

A la fin de la seconde d’appui, le levier central se rétracte et les deux leviers laté­raux sortent.

- Si l’animal choi­sit le levier de droite, il appuie puis peut relâ­cher immé­dia­te­ment le levier et une dose de 0.05 ml de sucrose 32 % est déli­vrée dans la mangeoire dans 100 % des cas.

- Si l’animal choi­sit le levier de gauche, le résul­tat de cette action sera incer­tain, en fonc­tion de la proba­bi­lité d’obtenir 0.1 ml de sucrose 32%, indi­quée précé­dem­ment par la combi­nai­son de lumière. 

La condi­tion 100% et la condi­tion 0% permettent de véri­fier la bonne compré­hen­sion de la tâche par le rat. La condi­tion 50% permet d’évaluer le compor­te­ment à tendance risquée ou non de l’animal. Ainsi, si dans la condi­tion où la proba­bi­lité d’obtenir la grande récom­pense est de 50%, le rat choisi préfé­ren­tiel­le­ment le levier asso­cié à cette grande récom­pense, il sera consi­déré comme un indi­vidu au compor­te­ment risqué et joueur.
La moitié des animaux est condi­tion­née avec cette règle. Pour l’autre moitié, la petite récom­pense est déli­vrée lorsque l’animal choi­sit le levier droit.

Chirur­gie : Lésion du NST 
Lorsque les animaux ont atteint un niveau de perfor­mance stable durant au moins 5 sessions consé­cu­tives, ils ont été soumis au proto­cole chirur­gi­cal suivant :
Tous les animaux ont été anes­thé­siés avec de la kéta­mine (50 mg/​kg, i.m.) et de la médé­to­mi­dine (0.26 mg/​kg, i.m.) et posi­tion­nés dans un appa­reil de stéréotaxie.
Les rats reçoivent une injec­tion bila­té­rale d’acide iboté­nique (9.4 µg/​µl (53 mM); rats avec lésion du NST) ou de solu­tion contrôle (tampon phos­phate, 0.1 M ; rats intacts) aux coor­don­nées suivantes : anté­ro­pos­té­rieur, 3.8 mm (depuis le bregma); laté­ral, 2.4 mm ; dorso­ven­tral, 8.35 mm (depuis le crâne). Le volume d’injection était de 0.5 micro­litres par côté injecté pendant 3 minutes avec une seringue Hamil­ton fixée sur une micro­pompe. A la fin de l’injection, les injec­teurs ont été lais­sés en place pendant 3 min pour permettre la diffu­sion de l’acide iboténique.
Les animaux ont récu­péré des suites de l’opération pendant une semaine avant d’être à nouveau soumis au test (dans la même tâche que celle précé­dent la chirurgie)

B — RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES
près appren­tis­sage de la tâche, les animaux ont été soumis au test de prise de déci­sion, et le pour­cen­tage de prise de déci­sion risquée (évaluée par le nombre d’appui sur le levier asso­cié à la grande récom­pense dans la condi­tion où la proba­bi­lité de l’obtenir est de 50%) a été mesuré. Nous avons ainsi mesuré le pour­cen­tage de prise de déci­sion risquée de base chez le rat, avant lésion du NST. Nous avons pu véri­fier que les perfor­mances moyennes des rats avant l’opération ne présen­taient pas de diffé­rences signi­fi­ca­tives, tous les indi­vi­dus choi­sis­sant de manière équi­va­lente la petite récom­pense certaine et la grande récom­pense risquée. 

Les animaux ont ensuite été soumis au proto­cole chirur­gi­cal. Après une période de récu­pé­ra­tion, ils ont été à nouveau soumis au même test que celui précé­dent la chirur­gie. Après lésion du NST, on observe une modi­fi­ca­tion profonde du compor­te­ment des rats, qui choi­sissent alors préfé­ren­tiel­le­ment la condi­tion risquée (dans 80% des cas envi­ron). Une alté­ra­tion du NST conduit donc à une alté­ra­tion de la prise de déci­sion, favo­ri­sant un compor­te­ment impul­sif et risqué. Ces résul­tats semblent donc indi­quer que les effets secon­daires cogni­tifs de type impul­si­vité et déve­lop­pe­ment du jeu patho­lo­gique chez les patients trai­tés par la SHF du NST pour­raient résul­ter de l’inactivation du NST. 

Afin d’évaluer l’influence du système dopa­mi­ner­gique, cible des trai­te­ments médi­ca­men­teux dans la mala­die de Parkin­son, dans ce proces­sus, nous avons procédé à une injec­tion intra­pé­ri­to­néale d’un inhi­bi­teur de recap­ture de dopa­mine, 20 minutes avant le début du test. De façon très inté­res­sante, nous avons pu obser­ver que ce trai­te­ment conduit, chez les rats intacts, à une très forte augmen­ta­tion du nombre de prise de déci­sion risquée, celui-​ci passant de 40% à 80% envi­ron après trai­te­ment phar­ma­co­lo­gique aigue avec un inhi­bi­teur de
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recap­ture de dopa­mine. Les rats intacts soumis à ce trai­te­ment dopa­mi­ner­gique présentent donc un compor­te­ment risqué simi­laire à celui des rats ayant subit une lésion totale du NST. Il semble­rait donc que le système dopa­mi­ner­gique et le noyau subtha­la­mique soient impli­qués dans ce proces­sus décisionnel.
Suite à ce trai­te­ment, les animaux ont été à nouveau soumis au test avec après avoir subit une injec­tion de solu­tion contrôle (sérum physio­lo­gique), afin de véri­fier un retour à la normale (niveau de base) de leur perfor­mance comportementale.
Il a été mis en évidence que la SHF du NST, de même que les trai­te­ments à la L‑DOPA, induisent une dimi­nu­tion du taux de séro­to­nine, système impli­qué dans l’inhibition compor­te­men­tale et dans la physio­pa­tho­lo­gie de diffé­rents troubles. Afin d’évaluer le poten­tiel théra­peu­tique d’un trai­te­ment visant ce système, nous avons suivi le même proto­cole en utili­sant cette fois un inhi­bi­teur sélec­tif de recap­ture de la séro­to­nine. Il s’agit de la fluoxé­tine, anti­dé­pres­seur couram­ment utilisé chez l’Homme. La fluoxé­tine a été admi­nis­trée par injec­tion aigue intra­pé­ri­to­néale, réali­sée 30 minutes avant le début du test. Nous avons pu obser­ver que ce trai­te­ment, condui­sant à une augmen­ta­tion du taux de séro­to­nine, a pour consé­quence de contre­car­rer l’effet délé­tère de la lésion du NST sur la prise de déci­sion : les animaux lésés présentent en effet un compor­te­ment semblable au compor­te­ment de base des animaux contrôles (c’est à dire un nombre d’appui envi­ron équi­valent entre le levier petite et grande récom­pense). La fluoxé­tine réduit donc les effets pro-​impulsifs induits par l’inactivation du NST. Le système séro­to­ni­ner­gique pour­rait donc égale­ment être impli­qué dans l’altération du proces­sus déci­sion­nel chez les patients parkin­so­niens. L’utilisation d’un inhi­bi­teur sélec­tif de séro­to­nine, déjà couram­ment utilisé pour traité la dépres­sion et d’autres troubles chez l’Homme, pour­rait donc poten­tiel­le­ment être une pers­pec­tive théra­peu­tique envisageable. 

C — JUSTIFICATION DE L’ÉTUDE ET PERSPECTIVES
Cette étude nous a déjà permis de clari­fier le rôle du NST dans les proces­sus déci­sion­nels chez le rat, puisque nous avons pu montrer que la pertur­ba­tion de l’activité du NST par lésion de la struc­ture, conduit à un compor­te­ment plus risqué. 

Afin d’approfondir d’avantage cette étude, nous souhai­te­rions égale­ment étudier l’effet d’un trai­te­ment à la L‑Dopa sur cette tâche chez le rat. Ce trai­te­ment sera réalisé seul, ou en combi­nai­son avec un anta­go­niste des récep­teurs dopa­mi­ner­giques, mimant la déplé­tion dopa­mi­ner­gique présente chez le patient parkinsonien.
Avec pour objec­tif de confir­mer et appro­fon­dir nos recherches, nous souhai­te­rions véri­fier la repro­duc­ti­bi­lité de ces résul­tats sur un nouveau groupe de rats, qui sont d’ores et déjà en cours d’apprentissage de la tâche permet­tant de mesu­rer la prise de décision. 

La pour­suite de ce projet nous permet­trait une meilleure compré­hen­sion de l’implication du NST et des diffé­rents systèmes de neuro­trans­mis­sion dans les proces­sus de prise de déci­sion alté­rés chez certains patients parkin­so­niens. Pouvoir anti­ci­per et appor­ter une solu­tion théra­peu­tique aux troubles cogni­tifs qui pour­raient résul­ter du trai­te­ment chirur­gi­cal et dopa­mi­ner­gique chez le patient atteint de la mala­die de Parkin­son repré­sente un enjeu majeur.

Lu par Jean Grave­leau graveleau.jean2@orange.fr

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