Ne pas être qu'un "patient" ...

Cure de nicotine contre la maladie de Parkinson

Article paru dans LE PARKINSONIEN INDÉPENDANT n°55

Article paru dans Sud-​ouest Dimanche du 10 novembre 2013 

Isabelle Castillon part en croi­sade pour défendre la nicotinothérapie.
Isabelle Castillon vit à Bayonne. Atteinte depuis 1987, elle parti­cipe au proto­cole unique de nico­ti­no­thé­ra­pie en France. Et ça va mieux ! La mala­die de Parkin­son a eu tort de s’en prendre à Isabelle Castillon. Elle est tombée sur un os. Car cette ensei­gnante, instal­lée à Bayonne, n’est pas du genre à se lais­ser attra­per sans bron­cher. À 64 ans, elle parti­cipe en tant que patiente à un proto­cole théra­peu­tique unique en France. Tota­le­ment alter­na­tif, révo­lu­tion­naire, archi­con­tro­versé, puisqu’il fait appel à la nico­tine. Un mot est né de cette initia­tive médi­cale : nicotinothérapie. 

Retour en 1987. Isabelle se souvient : « Je me dédouble, je m’entends parler, avec un écho, parfois je me mets à trem­bler. Je ne dors plus. En consul­ta­tion, je vois un neuro­logue, il me pres­crit un anxio­ly­tique. Mais en 1992, je plonge. Trois semaines sans prati­que­ment dormir. Je suis hospi­ta­li­sée pour dépres­sion pendant un mois et j’en sors toujours aussi mal. Mes problèmes physiques se multi­plient. C’est un neuro­logue que je croise qui va me diag­nos­ti­quer : Parkin­son. »

Panique et soula­ge­ment. Isabelle sait ce qu’elle a ; elle est désor­mais prise en charge et trai­tée à la L‑dopa. « Je découvre ce que signi­fie l’expression lune de miel. La L‑dopa dope… pendant dix ans en moyenne », poursuit-​elle. Puis, Isabelle Castillon la battante, toujours prof, est rattra­pée par les symp­tômes de Parkin­son qui se bous­culent. « Mon écri­ture se rétré­cit, je marche de plus en plus lente­ment, des diffi­cul­tés d’élocution, trem­ble­ments, dyski­né­sie (mouve­ments invo­lon­taires). J’ai peur de sortir, je me renferme. J’ai honte qu’on me juge, car on me juge. Je prends des rensei­gne­ments partout, pour aller mieux. »

Quatre ans de patience : 
Parkin­son est une mala­die neuro­dé­gé­né­ra­tive, Isabelle sait qu’il faudra accep­ter la dégrin­go­lade. Elle se rebelle. « Un jour, en 2000, je découvre un repor­tage sur CNN. Il est ques­tion de nico­tine dans le trai­te­ment de Parkin­son. Je note le nom du méde­cin : Gabriel Villa­fane, de l’hôpital Henri-​Mondor à Créteil (94). Je vais batailler des mois pour obte­nir un rendez-​vous. La débrouille et le bouche-​à-​oreille. Je débarque à Mondor avec mon dossier médi­cal, mais il faudra encore quatre ans de patience avant d’obtenir mes premiers patchs de nico­tine pure. » DAT-​Scan, un scan­ner qui date les courts-​circuits du cerveau géné­rés par la mala­die, examens du cœur, tension, sang. Le corps et le cerveau d’Isabelle sont passés au crible. En 2009, elle obtient enfin la première série de patchs.

« Il faut le posi­tion­ner en bas de la colonne, dans le dos. La nico­tine diffuse alors jusqu’au cerveau », précise la patiente. Les effets posi­tifs du trai­te­ment se font sentir au bout de quelques semaines. La mala­die ne dispa­raît pas, mais les symp­tômes régressent. Isabelle demeure sous L‑dopa, bien entendu. « J’ai recom­mencé à marcher, je ne tremble plus, la dyski­né­sie a prati­que­ment disparu, je suis plus active, le moral revient. Je vois des gens, je sors et, surtout, je me moque éper­du­ment du regard des autres. La joie de vivre à nouveau… Aujourd’hui, je m’occupe de mes petits-​enfants, je chante. Sans la nico­tine pure, je serais à ce jour en fauteuil roulant. J’ai dimi­nué de moitié la dose de mes médi­ca­ments. Ce fut un parcours du combat­tant, et aujourd’hui encore, je me heurte à l’incrédulité de mes méde­cins, des neuro­logues, des phar­ma­ciens. Je suis consi­dé­rée comme une malade récal­ci­trante. »

Théra­pie ostracisante :
Des méde­cins l’accusent de s’adonner à une théra­pie « ostra­ci­sante » parce que les patchs ne sont pas rembour­sés par la Sécu­rité sociale. « Que font les autres, ceux qui ne peuvent pas payer ? » entend-​elle. Les phar­ma­ciens lui font la morale. Certains lui ont même asséné : « À ce prix, mieux vaut reprendre les ciga­rettes, c’est moins cher ! » En effet, deux boîtes de patchs par mois reviennent à 80 euros (1). Pas à la portée de toutes les bourses… 

D’un autre côté, les réseaux sociaux bouillonnent, les malades de Parkin­son cherchent des solu­tions pour aller mieux, ils veulent tout tenter, s’intéressent de près aux travaux de recherche. Alors, Isabelle Castillon est partie en croi­sade, elle mesure que tout le monde n’a pas son tempé­ra­ment têtu. « Si je me fais connaître, c’est pour qu’un réseau défen­dant la nico­ti­no­thé­ra­pie se monte. Je sais que tous les patients ne peuvent pas être trai­tés, parce que le trai­te­ment répond à des critères exigeants. Il n’est pas sans risque s’il est pres­crit n’importe comment. Il faut savam­ment doser le taux de nico­tine. » Les patients suivis à l’hôpital Mondor de Paris sont en train de se fédé­rer pour monter un collec­tif pro-​nicotinothérapie. Et inci­ter le réveil des pouvoirs publics qui, enfin, caution­ne­ront le médicament.
(1) À ce jour, les patchs de nico­tine sont rembour­sés à hauteur de 50 euros par an.

Inter­view de Gabriel Villa­fane, neuro­logue à l’hôpital Henri-​Mondor de Créteil 
C’est lui qui a mis au jour ce trai­te­ment alter­na­tif de la mala­die de Parkin­son. Neuro­logue au sein de l’hôpital Henri-​Mondor à Créteil, Gabriel Villa­fane a, en 1999, avec son chef de service, le profes­seur Pierre Cesaro, déposé une demande de brevet sous cette appel­la­tion : « Utili­sa­tion de la nico­tine à l’état pur comme médi­ca­ment pour les mala­dies neuro­dé­gé­né­ra­tives, notam­ment la mala­die de Parkinson… » 

Sud-​ouest Dimanche : Comment avez-​vous pensé à utili­ser la nico­tine pure ?
Gabriel Villa­fane : J’ai observé des malades, notam­ment psychia­triques, placés sous neuro­lep­tiques qui deve­naient accros à la ciga­rette. Alors qu’ils étaient atones, lorsqu’ils fumaient, ils retrou­vaient une éner­gie, le temps de la ciga­rette. J’ai fait le lien : la nico­tine. Nous avons déposé un brevet en1999, au nom de l’Assistance publique. Il est protégé durant vingt ans. En 2009, la vali­dité scien­ti­fique du brevet a été validée. 

S‑O : Combien de patients avez-​vous suivis avec ce traitement ?
G. V. : À ce jour, plus de 1 000 personnes. Le plus ancien est sous nico­tine pure trans­der­male (NEP) depuis douze ans. Il va bien. Le premier proto­cole a permis à six patients de tenter cette aven­ture. En 2004, face à une arri­vée massive de demandes de patients, nous avons été débor­dés. Il a fallu créer un second proto­cole, inti­tulé « proto­cole compas­sion­nel ». Nous assu­rons le diag­nos­tic, les examens, la pres­crip­tion, mais les patients doivent payer la NEP, pas remboursée. 

S‑O : Pour­quoi cette théra­pie alter­na­tive, alors qu’elle semble porter ses fruits, tarde-​t-​elle à trou­ver plus d’écho ?
G. V. : D’abord, elle n’est pas poli­ti­que­ment correcte. Le message autour de la nico­tine est complexe. D’un côté, on connaît les dégâts du tabac, de l’autre, on veut faire entendre que la nico­tine peut être un médi­ca­ment… Il ne s’agit pas de fumer, la ciga­rette est un danger. La nico­tine à l’état pur n’est pas dange­reuse. Elle est un neuro-​modulateur des neurones du système nerveux central. Un neuro­trans­met­teur qui inter­vient au niveau de la synapse neuro­nale, des récep­teurs de la dopa­mine dans le cas de Parkin­son. Les obser­va­tions cliniques et d’imagerie (DAT-​Scan) montrent un ralen­tis­se­ment de la mala­die. Alors, pour­quoi ce blocage ? 

Aujourd’hui, on soigne Parkin­son avec des trai­te­ments chimiques et chirur­gi­caux. En dehors de la NEP, aucun trai­te­ment n’agit aussi bien sur l’évolution de la mala­die. À ce jour, nous n’arrivons pas à obte­nir une auto­ri­sa­tion de mise sur le marché (AMM) des patchs nico­ti­niques, qui sont conçus pour un usage tran­si­toire et seule­ment à voca­tion de sevrage taba­gique. Du coup, les parkin­so­niens que nous trai­tons sont quasi clan­des­tins… Aux États-​Unis, en Alle­magne, les publi­ca­tions sur les vertus de la nico­tine dans le trai­te­ment de Parkin­son affluent. Ils vont nous doubler et dépo­ser des brevets de patchs nico­ti­niques pour Parkin­son avant nous. 

Trop de lenteurs admi­nis­tra­tives, de peurs. 

Recueilli par Isabelle Castera i.castera@sudouest.fr
Trans­mis par Domi­nique Bonne dominique.bonne@gmail.com

6 Commentaires Cliquer ici pour laisser un commentaire

  1. Bonjour Domi­nique et Martine, vos commen­taires laissent suppo­ser que l apport en nico­tine n a pas amélioré votre santé ?

    Commentaire by Fella — 2 août 2017 #

  2. Bonjour Domi­nique ferant
    Même chose pour mon mari dont l’état s’est beau­coup dégradé depuis octobre. Il ne peut prati­que­ment plus marcher : pertes d’équi­libre, chutes, etc.
    Il est à 14 et 21mg de nico­tine en alter­nance un jour sur 2.
    Je ne sais plus quoi faire, on se sent délaissé face à cette situation.
    J’es­père qu’une solu­tion sera bien­tôt trouvée. ..
    Bon courage à vous

    Commentaire by Martine — 4 mai 2017 #

  3. A l’at­ten­tion de Madame Isabelle Castillon

    Bonjour,

    Je fais partie des parkin­so­niens suivis par Monsieur VILLAFANE à Henri MONDOR et touchés par l’ar­rêt des consul­ta­tions à Vidart.
    Depuis Octobre mon état s’est énor­mé­ment aggravé ‚malgré une hospi­ta­li­sa­tion en urgence en février à Mondor dans le service Bachoud Levy. (résul­tat : dosage dopa­mine empi­rique ..catas­tro­phique) mon état ne cesse de se dégrader.
    J’ai­me­rai connaitre le résul­tat de votre péti­tion adres­sée à Mari­sol Touraine.

    Je n’ar­rive pas à trou­ver un infor­ma­tion que ce soit sur le site AFIRN ou par A2N (ou je suis adhérent).
    Pouvez vous me dire s’il y a une réac­tion au niveau du minis­tère de la santé.

    Compte tenu de mes malaises de plus en plus rappro­chés je suis tenté d’aug­men­ter empi­ri­que­ment le dosage de nicotine.
    Bien cordia­le­ment Domi­nique FERANT

    Commentaire by FERANT Dominique — 2 mai 2017 #

  4. Nous nous employons a faire en sorte que la nicotine/​medicament soit recon­nue comme l »a ete rcem­ment le canna­bis, deve­lop­pons des stra­te­gies toujours renou­ve­lees face a ce qu’on ne peut plus appe­ler des reti­cences mais plutot une hosti­lite bien orga­ni­see, un verrouillage syste­ma­tique qu’il s’agit de denon­cer publi­que­ment. Nous le ferons

    Commentaire by saint genez — 27 février 2014 #

  5. QUE FAUT-​IL FAIRE POUR QUE CE TRAITEMENT PUISSE ETRE PRESCRIT A TOUS LES MALADES ?
    C’EST INOUI QUE CELA NE SOIT PAS SAISI PAR LES AUTORITES ET DEVELOPPE.

    Commentaire by TALAGRAND — 25 février 2014 #

  6. Bonsoir
    C’est ce que nous devrions tous faire. Appor­ter nos témoi­gnages. Cela aide­rait surement aux auto­ri­tés concer­nées de bouger. Et ne pas avoir qu’un seul Villafane
    Encore Bravo Isabelle pour cette interview
    Katy

    Commentaire by Katy — 4 janvier 2014 #

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